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Alors , comme s’ il obéissait à l’ impression des dernières paroles échappées à son frère , le capitaine laissa un instant errer ses yeux sur les splendeurs de l’ atelier , sur les tapisseries à personnages royaux , sur les vieux bahuts de la renaissance , sur les pistolets grecs à pommeau d’ argent , sur les fusils arabes à incrustations de corail , sur les poignards à fourreau de vermeil , sur les verreries de PROPN , sur les vieilles argenteries de PROPN . L’ examen fut court , et l’ œil du capitaine n’ avait rien perdu de son sourire limpide et joyeux quand il le reporta sur son fils . PROPN , au contraire , honteux de ce luxe qui faisait contraste avec les murs nus de la ferme de PROPN , avec la mise simple de son père , PROPN baissa les yeux . — Eh bien , mon enfant , demanda le père avec le ton d’ un doux reproche , voilà tout ce que tu me dis ? — Oh ! mon père , pardonnez -moi , dit PROPN ; mais je me reproche de vous avoir fait quitter le chevet d’ un ami mourant pour venir à moi , qui pouvais attendre . — Ce n’ est point , souviens - t’ en , mon enfant , ce que tu me disais dans ta lettre . — C’ est vrai , mon père , excusez -moi ; je vous disais que j’ avais besoin d’ argent ; mais je ne vous disais pas : « Quittez tout pour me l’ apporter vous - même » ; je ne vous disais pas … — Tu ne me disais pas ? … répéta le capitaine . — Rien , rien , mon père , s’ écria PROPN en l’ embrassant ; vous avez bien fait de venir , et je suis heureux de vous voir . — Et puis , PROPN , continua le père d’ une voix légèrement échauffée par l’ embrassement de son fils , ma présence était nécessaire , j’ avais à causer sérieusement avec toi . PROPN se sentit plus à l’ aise . — Ah ! j’ entends , mon père , dit -il , vous ne pouvez pas faire pour moi ce que je vous demande et vous avez voulu me le dire vous - même . N’ en parlons plus , j’ étais un fou , j’ avais tort . Oh ! mon oncle me l’ avait fait comprendre avant votre arrivée , et je le comprends encore mieux depuis que je vous vois . Le capitaine secoua la tête avec son bon sourire paternel . — Non , dit -il , tu ne me comprends pas . Puis , tirant son portefeuille de sa poche et le posant sur la table : — Tes dix mille francs sont là , dit -il . PROPN fut écrasé par cette inépuisable bonté . — Oh ! mon père , s’ écria -t -il , jamais , jamais ! — Pourquoi ? — Parce que j’ ai réfléchi , mon père . — Tu as réfléchi , PROPN ? et à quoi ? — À ceci , mon père : c’ est que , depuis six mois , j’ abuse de votre bonté ; c’ est que , depuis six mois , vous faites plus que vous ne pouvez faire ; c’ est que , depuis six mois , je vous ruine . — Pauvre enfant , tu me ruines ! … la chose n’ est pas difficile . — Ah ! vous le voyez bien , mon père . — Ce n’ est pas toi qui me ruines , PROPN PROPN PROPN ! c’ est moi qui t’ ai ruiné . — Mon père ! — Eh ! oui , fit le capitaine avec un retour mélancolique sur le passé ; je t’ avais amassé une fortune royale , ou plutôt cette fortune s’ était amassée toute seule , car je n’ ai jamais bien su , moi , ce que c’ était que l’ argent ; tu te rappelles comment cette fortune a croulé … — Oui , mon père , et je suis fier de notre pauvreté quand je pense à la façon dont elle nous est venue . — Rends -moi cette justice , PROPN , que , malgré cette pauvreté , je n’ ai jamais rien épargné , lorsqu’ il s’ est agi de ton éducation , de ton bonheur . PROPN interrompit son père . — Et même de mes caprices , mon père ! — Que veux - tu ! avant tout , je tenais à te voir heureux , mon enfant . Qu’ aurais -je répondu à ta mère , lorsque venant au - devant de moi , elle m’ eût demandé : « Et notre fils ? » PROPN se laissa glisser aux genoux du capitaine , tout en éclatant en sanglots . — Ah ! dit PROPN PROPN tout désappointé , si tu pleures , je ne vais plus savoir rien te dire , moi . — Mon père ! s’ écria PROPN . — D’ ailleurs , ce que j’ avais à te dire , je te le dirai aussi bien à un autre voyage . — Non , non , tout de suite , mon père … — Tiens , mon enfant , dit le capitaine en se levant pour échapper à PROPN , voilà l’ argent dont tu as besoin . Tu m’ excuseras auprès de mon frère , n’ est -ce pas ? tu lui diras que j’ ai eu peur d’ arriver trop tard , que je suis reparti par la diligence qui m’ avait amené . — Rasseyez -vous , mon père ; la diligence part à sept heures du soir , et il est deux heures de l’ après-midi ; donc , vous avez cinq heures devant vous . — Tu crois ? dit le capitaine sans trop savoir ce qu’ il répondait . Et , machinalement , il tira de son gousset une montre d’ argent avec une chaîne d’ acier qui venait de son père . PROPN prit la montre et la baisa . Combien de fois , tout petit , n’ avait -il pas écouté , avec les naïfs étonnements de l’ enfance , le mouvement de cette montre héréditaire ? Il eut honte de la chaîne d’ or qu’ il avait au cou , de la montre aux armes de diamants qui pendait à cette chaîne et qu’ il portait dans la poche de son gilet . — Oh ! oh ! chère montre ! murmura PROPN en baisant la vieille montre d’ argent de son père . Le capitaine ne comprit pas . — La veux - tu ? dit -il . — Oh ! s’ écria PROPN , la montre qui a marqué l’ heure de vos combats , l’ heure de vos victoires , la montre qui , pareille aux mouvements de votre cœur , n’ a jamais battu plus vite au moment du danger que dans les jours de calme , je n’ en suis pas digne . Oh ! non , mon père , jamais ! jamais ! — Tu oublies deux autres heures qu’ elle a marquées aussi , PROPN , et qui sont les seules dates de ma vie dont je me souvienne : l’ heure de ta naissance ; l’ heure de la mort de ta mère . — Il y a une troisième heure qu’ elle marquera pour moi et pour vous à partir d’ aujourd’hui , mon père : c’ est l’ heure où j’ ai reconnu mon ingratitude , où je vous ai demandé pardon . — Pardon de quoi , mon ami ? — Mon père , avouez que , pour m’ apporter ces dix mille francs , il vous a fallu faire les plus grands sacrifices . — J’ ai vendu la ferme , voilà tout ; c’ est ce qui m’ a retardé . — Vous avez vendu la ferme ? s’ écria PROPN PROPN . — Mais oui … Vois - tu , elle était bien grande pour moi tout seul . Si ta pauvre mère n’ était pas morte , ou si tu l’ avais habitée avec moi , je ne dis pas . — Oh ! la ferme qui venait de ma mère , vous l’ avez vendue ? — Justement , PROPN ; comme elle venait de ta mère , c’ était ton bien . — Mon père ! s’ écria PROPN . — Moi , j’ ai dissipé le mien comme un fou . Voilà donc pourquoi j’ étais venu . PROPN , tu vas comprendre cela , vieil égoïste que je suis , j’ ai vendu la ferme pour vingt-cinq mille francs . — Mais elle en valait cinquante mille . — Tu oublies que j’ avais déjà emprunté dessus vingt-cinq mille francs pour te les envoyer . PROPN cacha sa tête dans ses mains . — Eh bien , voilà . Je suis venu moi - même pour te demander si tu pouvais me laisser les quinze mille autres ? PROPN regarda son père d’ un air effaré . — Momentanément , reprit le capitaine ; bien entendu que , si tu en as besoin plus tard , tu auras toujours le droit de me les redemander . PROPN releva la tête . — Continuez , mon père , dit -il . Puis , tout bas : — C’ est ma punition , murmura -t -il . — Voilà donc mon plan , continua le capitaine , je louerai ou j’ achèterai une petite cabane au milieu des bois ; tu connais ma vie , PROPN ; je suis un vieux chasseur , je ne peux plus me passer de mes fusils et de mon chien ; je chasserai du matin au soir . Quel malheur que tu ne sois pas chasseur ! Tu serais venu me voir ; nous aurions chassé ensemble . — Oh ! j’ irai , j’ irai , mon père , soyez tranquille . — Vrai ? — Je vous le promets . — Eh bien , raison de plus … Vois - tu , il y a pour moi deux choses dans la chasse : d’ abord , le plaisir de chasser ; puis , ensuite , tu n’ as pas idée de la quantité de gens que je nourris avec mon fusil . — Ah ! mon père , que vous êtes bon ! s’ écria PROPN . Puis , à demi-voix : — Que vous êtes grand ! continua -t -il en levant les mains et les yeux au ciel . — Attends donc , dit le capitaine ; car j’ arrive au moment où j’ ai compté sur toi , mon pauvre ami . — Dites , dites , mon père . — J’ ai cinquante - sept ans , l’ œil encore clair , le bras encore ferme , le jarret encore solide ; mais on descend vite le côté de la montagne où je suis ! Dans un an , dans deux ans , dans dix ans , l’ œil peut se troubler , le bras peut faiblir , le jarret peut broncher ; alors , un beau matin , tu verras arriver un pauvre vieux bonhomme qui te dira : « C’ est moi , PROPN , je ne suis plus bon à rien . As - tu un coin dans ta maison où mettre ton vieux père ? Il a toujours vécu loin de ce qu’ il aimait , il voudrait bien ne pas mourir comme il a vécu . » — Oh ! mon père , mon père , s’ écria en sanglotant PROPN , est -il bien vrai que la ferme soit vendue ? — D’ avant-hier matin , oui , mon ami . — Mais à qui , PROPN PROPN ? — PROPN PROPN , le notaire , ne me l’ a pas dit . Tu comprends , ce qui m’ importait , à moi , c’ était d’ avoir l’ argent ; j’ ai pris les dix mille francs dont tu avais besoin , et me voilà . — Mon père , dit PROPN en se relevant , il faut que je sache à qui vous avez vendu la ferme de ma mère ! En ce moment , la porte de l’ atelier s’ ouvrait et le domestique de PROPN , tout hésitant encore , paraissait , une lettre à la main . — Oh ! laisse -moi tranquille ! s’ écria PROPN en lui arrachant la lettre des mains ; je n’ y suis pour personne . — Mais , comme il allait jeter cette lettre sur la table , il s’ aperçut que l’ adresse portait le timbre de PROPN . Il crut un instant que la lettre était pour son père . Mais elle portait cette suscription : À PROPN PROPN PROPN Pétrus Herbel de PROPN . Il ouvrit vivement la lettre . Elle était du notaire chez lequel le capitaine venait de dire que la vente de la ferme avait été faite . PROPN secoua la tête comme pour éteindre le cercle de flamme qui l’ entourait , et lut : « Monsieur le vicomte , « Votre père , qui a fait chez moi des emprunts successifs montant à la somme de vingt-cinq mille francs , est venu me trouver , il y a trois jours , afin de me vendre sa ferme , déjà hypothéquée pour cette somme de vingt-cinq mille francs . « Ces vingt-cinq mille francs , m’ a -t -il dit , comme les vingt-cinq mille premiers , vous sont destinés . « Il m’ est venu dans l’ esprit – excusez -moi , monsieur le vicomte – que vous ignoriez peut-être les sacrifices que votre père fait pour vous , et que ce dernier sacrifice le ruinait complètement . « J’ ai cru qu’ il était de mon honneur , comme notaire de votre famille et ami de votre père depuis trente ans , de faire deux choses : la première de ces deux choses , c’ était de lui remettre les vingt-cinq mille francs qu’ il me demandait , en feignant une vente qui n’ existe pas ; la seconde , c’ était de vous prévenir de l’ état de délabrement où est la fortune de votre père , certain que vous l’ ignorez , et que , du moment où vous le saurez , au lieu de concourir à l’ anéantir tout à fait , vous ferez vos efforts pour la rétablir . « Si vous gardez les vingt-cinq mille francs , il faudra bien que la vente se réalise . « Mais si le besoin que vous avez de ces vingt-cinq mille francs n’ était qu’ un de ces besoins que l’ on peut ajourner ou même écarter tout à fait , et que , par un moyen ou par un autre , vous puissiez , d’ ici à huit jours , faire rentrer ces vingt-cinq mille francs entre mes mains , monsieur votre père resterait propriétaire de la ferme , et vous lui épargneriez , je crois , un immense chagrin . « Je ne sais comment vous qualifierez ma demande auprès de vous , mais je crois que c’ est celle d’ un honnête homme et d’ un ami . « Recevez , etc. « PROPN , notaire à PROPN . » Le tout était accompagné d’ un de ces parafes compliqués comme en faisaient , il y a vingt-cinq ans , les notaires de province . PROPN respira et porta à ses lèvres la lettre du digne notaire , qui ne la croyait certes pas destiné à cet honneur . Puis , se retournant vers le capitaine : — Mon père , dit -il , je pars avec vous ce soir pour PROPN . Le capitaine jeta un cri de joie ; mais aussitôt , en réfléchissant et avec une certaine inquiétude : — Que viens - tu faire à PROPN ? demanda -t -il . — Rien … Vous reconduire , mon père … J’ avais cru , en vous voyant , que vous veniez passer quelques jours avec moi . Cela vous est impossible : c’ est moi qui vais passer quelques jours avec vous . Et , en effet , le soir même , après avoir écrit deux lettres , l’ une à PROPN , l’ autre à PROPN , après avoir emmené dîner son père – non point chez le général , dont les reproches ou les sarcasmes eussent blessé son cœur endolori , mais dans un restaurant où tous deux , à une petite table , ils firent un dîner plein d’ intimité et de tendresse – . PROPN monta avec son père dans la voiture de PROPN et quitta PROPN , bien affermi dans la résolution qu’ il venait de prendre . Chapitre 251 Chagrins de cœur mêlés d’ argent . QUELLE ÉTAIT CETTE RÉSOLUTION que PROPN venait de prendre ? Peut - être allons -nous la trouver dans l’ une des deux lettres qu’ il avait écrites . Commençons par celle qui était adressée au boulevard des Invalides . « Ma bien-aimée Régina , « Excusez -moi si je quitte PROPN pour quelques jours sans avoir vue , sans vous avoir rien dit , ni par lettre , ni de vive voix , de ce départ ; un événement inattendu , mais qui n’ a rien d’ inquiétant , je vous l’ affirme , me force à accompagner mon père à PROPN . « Laissez -moi vous dire , pour vous rassurer complètement , que ce que j’ ai orgueilleusement qualifié d’ événement est tout simplement une affaire d’ intérêt . « Seulement , cette affaire d’ intérêt concerne – permettez -moi ce blasphème et pardonnez -moi de l’ avoir dit ! – cette affaire d’ intérêt concerne la personne que j’ aime le plus après vous : mon père . « Je dis cela bien bas , PROPN , de peur que Dieu ne m’ entende et ne me punisse de vous aimer plus que celui qui devrait avoir mon premier amour . « Si vous avez autant besoin de me dire que vous m’ aimez que j’ ai besoin de me l’ entendre dire , et si vous voulez , non pas me faire oublier , mais me faire supporter votre absence par une de ces lettres dans lesquelles vous savez si bien m’ envoyer une portion de votre âme , écrivez -moi , poste restante , à PROPN , mais pas plus tard qu’ aujourd’hui ou demain . Je ne compte rester absent que le temps absolument nécessaire au voyage et à l’ affaire qui m’ appelle là - bas , c’ est - à - dire six jours en tout . « Faites qu’ à mon retour je trouve une lettre de vous qui m’ attende . Oh ! j’ en aurai bien besoin , je vous le jure ! « Au revoir , PROPN PROPN PROPN ! mon corps seul vous quitte ; mais mon cœur , mon âme , ma pensée , tout ce qui aime en moi enfin reste auprès de vous . « Pétrus . » Maintenant , voici ce qu’ il disait à PROPN : « Mon ami , « Avec le même aveuglement et la même obéissance que vous auriez pour une dernière recommandation de votre père mourant , faites , je vous prie , ce que je vais vous dire . « Au reçu de ma lettre , prenez un commissaire - priseur et venez chez moi . Faites faire l’ inventaire de mes chevaux , de mes armes , de ma voiture , de mes tableaux , de mes meubles , de mes tapis , de tout ce que je possède enfin ; gardez -moi seulement ce qui est nécessaire au strict besoin de la vie . « L’ inventaire dressé , faites estimer chaque chose . « Puis faites faire des affiches , et annoncez dans les journaux – ceci est , je crois , de la compétence de PROPN PROPN – , annoncez la vente d’ un mobilier d’ artiste . « Fixez -en le jour au dimanche 16 courant afin que les amateurs aient le temps de visiter les objets sur place . « Tâchez que le commissaire - priseur auquel vous vous adresserez ait l’ habitude d’ estimer et de vendre des objets d’ art . « Il me faut de mon mobilier trente-cinq ou quarante mille francs . « À vous , PROPN PROPN PROPN . « Ex imo corde , PROPN . « P.S. – Payez mon domestique et congédiez - le . » PROPN connaissait PROPN : il savait qu’ à son retour toute chose serait faite comme il le désirait . En effet , lorsqu’ il revint , le sixième jour après son départ , il trouva l’ affiche sur la porte et une procession de curieux montant et descendant son escalier . Cette vue lui serra le cœur . Il n’ eut pas le courage de rester dans son atelier . Un petit corridor conduisait directement du palier à sa chambre ; il entra dans sa chambre , s’ y enferma , s’ assit avec un profond soupir , et laissa tomber sa tête dans ses mains . PROPN était satisfait de lui-même et fier de la résolution qu’ il avait prise ; mais cette résolution , il ne l’ avait pas prise sans lutte et sans brisement . On devine ce qu’ il était allé faire là - bas , et quelles étaient les intentions de son retour .
[ "Là - bas , il était allé pour empêcher que la ferme de ce bon et excellent père , ce dernier débris qui restait de la fortune du capitaine , ne sortît de ses mains ; il était allé assurer un abri aux derniers jours de celui à qui il devait le jour . C’ était là chose facile à faire , et elle s’ était faite sans même que le vieillard s’ en doutât : le notaire avait déchiré l’ acte factice , et PROPN avait dit adieu à son père , appelé près du lit de son ami mourant . Puis il était arrivé à PROPN pour accomplir la seconde partie et , disons - le , la partie la plus difficile , et surtout la plus douloureuse de sa résolution : PROPN s’ était décidé à vendre , comme nous l’ avons vu , chevaux , voiture , meubles , tableaux , potiches PROPN PROPN , bahuts de PROPN , armes et tapis , pour payer ses dettes ; puis , ses dettes payées , à se remettre au travail comme un écolier en loge pour le grand prix de PROPN . Certes , en renonçant à ses folles dépenses , et surtout en employant à ce travail le temps qu’ il perdait , non pas même à voir , mais à essayer de voir PROPN , PROPN était bien sûr de ramener sa vie à une meilleure situation comme art et comme argent . Ce serait lui , alors , qui pourrait venir en aide à son père , et non plus son père qui serait obligé de se dépouiller jusqu’ au dernier lambeau pour nourrir le luxe insensé de son fils . Sans doute , tout cela , c’ était la logique , c’ était la droiture , c’ était la raison ! mais il n’ y a rien de si dur et de si difficile à suivre que la raison , la droiture et la logique . Voilà pourquoi , la plupart du temps , on ne les suit pas . En effet , vendre tout ce charmant luxe des yeux , dont on s’ était fait une si douce habitude , pour se retrouver entre quatre murailles nues , était -ce donc une chose qui se pût faire de gaieté de cœur ? Non , c’ était une situation navrante , et l’ on n’ en pouvait sortir que par un chagrin poignant . La pauvreté en elle-même n’ effrayait nullement PROPN . Sobre par nature , économe pour lui , il eût grandement , ou plutôt il avait grandement vécu avec cinq francs par jour . N’ eût été PROPN , il ne se fût nullement soucié d’ être riche . N’ avait -il pas dans le cœur les trois grandes richesses de la création : la richesse du talent , de la jeunesse et de l’ amour ? Mais c’ était précisément sur son amour , c’ est - à - dire sur l’ âme de son âme , qu’ allait directement et peut-être mortellement peser sa pauvreté . Hélas ! la femme qui se jetterait au feu pour nous plaire , qui risquerait sa vie et sa réputation pour venir , comme PROPN , donner à PROPN PROPN , attendant sous le balcon du jardin , un nocturne et furtif baiser 1 , cette femme , souvent , ne laisserait pas tomber sa main aristocratique dans une main mal gantée . Et puis , allez donc suivre à pied , dans la boue de la rue , la voiture de la femme que vous aimez ; allez donc attendre son passage à pied , sur le revers d’ une des allées du Bois , quand vous l’ avez croisée , la veille encore , monté sur un magnifique cheval sortant des écuries de PROPN ou de PROPN ! En outre , la pauvreté attriste , elle déteint en quelque sorte sur les visages les plus frais et les plus robustes . Le front du pauvre garde l’ empreinte des soucis de la veille et de l’ insomnie de la nuit . C’ est naïf , c’ est enfantin , c’ est ridicule aux yeux du philosophe , ce que nous allons dire , mais cette douloureuse pensée de ne pouvoir désormais arriver dans son coupé ou dans son tilbury à la soirée où PROPN était venue , elle , dans sa calèche ; de ne plus pouvoir la croiser à cheval sur les boulevards extérieurs , où il l’ avait rencontrée pour la première fois , ou dans des allées du bois de Boulogne , qui la voyaient passer tous les jours , cette pensée , en dépit de tous les philosophes de la terre , remplissait de tristesse le cœur de PROPN . À la vérité , les philosophes ne comprennent pas l’ amour , et la preuve , c’ est que , dès qu’ ils sont amoureux , il ne sont plus philosophes . Comment , ensuite , faire une figure convenable dans les salons du faubourg Saint-Germain : ces salons si épineux aux gentilshommes pauvres , et où il était reçu , lui , PROPN , à titre non pas d’ homme de talent , mais de gentilhomme de vieille noblesse ? Le faubourg Saint-Germain ne pardonne à un gentilhomme d’ avoir du talent qu’ à condition qu’ il ne vivra pas de son talent . Sans doute , PROPN , outre le boulevard où il rencontrait PROPN , outre le Bois où il la croisait , pouvait encore parfois la voir chez elle ; mais les rencontres dans le monde étaient le prétexte de ces visites -là , et puis , chez elle , outre que PROPN ne pouvait la voir fréquemment , il la voyait rarement seule : c’ était tantôt PROPN PROPN PROPN PROPN PROPN , tantôt la marquise de la Tournelle , PROPN toujours , PROPN PROPN quelquefois ; PROPN PROPN , qui le regardait d’ un air renfrogné et qui , à chaque rencontre , semblait lui dire du regard : « Je sais que vous êtes mon ennemi mortel ; je sais que vous aimez ma femme ; mais tenez -vous bien , je vous surveille tous les deux . » — Oui , pardieu ! oui , votre ennemi intime ! oui , votre ennemi mortel , l’ ennemi du mal , PROPN PROPN . Eh bien , tous les bénéfices de la fortune , toutes les jouissances du luxe , tous les avantages de la richesse , PROPN les avait eus pendant six mois , et , tout à coup , il fallait y renoncer . Nous le répétons , la situation était navrante . Ô Pauvreté , Pauvreté ! que de cœurs près d’ éclore tu as moissonnées ! que de fleurs de l’ âme écloses tu as fait tomber sous ta faux et dispersées au vent ! car , Pauvreté , sombre déesse , tu as le souffle et la faux de la mort ! Il est vrai que PROPN n’ était pas une femme ordinaire . – Peut - être … Vous savez ce qui arrive au voyageur perdu dans les catcombes , au voyageur qui , écrasé de fatigue , assis sur une pierre creuse , sur un ancien tombeau , le front couvert de sueur , regarde et écoute avec angoisse s’ il ne verra pas une lumière , s’ il n’ entendra pas un bruit : il entrevoit une lueur , il perçoit un son , il se lève : « Peut - être ! » dit -il . Il en était ainsi de PROPN : il venait de voir briller une lueur dans le souterrain sombre . — Peut - être ! … avait -il dit à son tour . Plus de fausse honte ! La première fois que je la verrai , je lui raconterai tout , et mes sottes vanités , et mes richesses d’ emprunt . Plus de faux orgueil ! une seule vanité , une seule gloire : travailler pour elle , et mettre mes succès à ses pieds . Elle n’ est point une femme ordinaire – et peut-être ... peut-être qu’ elle m’ en aimera mieux . Ô belle jeunesse , à travers laquelle l’ espérance passe comme le rayon de soleil à travers le cristal ! ô charmant oiseau qui chante la douleur quand il ne peut plus chanter la joie ! Sans doute PROPN se dit -il , à l’ appui de cette résolution , beaucoup d’ autres choses que nous ne répéterons pas ici . Disons seulement que , tout en causant ainsi avec lui-même , il quitta ses habits de voyage , prit un élégant costume du matin , et se rhabilla à la hâte . Puis , sans rentrer dans son atelier où il entendait craquer les bottes et s’ entrechoquer le dialogue des visiteurs , il descendit l’ escalier , mit la clef de sa chambre chez le concierge , qui , en échange , lui tendit un petit billet que PROPN , à la première inspection , reconnut pour être de l’ écriture de son oncle . Celui - ci l’ invitait à dîner pour le jour même où il serait de retour à PROPN . En effet , le général désirait savoir sans doute si la leçon avait profité . PROPN chargea le concierge d’ aller , à l’ instant même , à l’ hôtel de Courtenay , annoncer à son oncle qu’ il était de retour et qu’ il aurait l’ honneur d’ aller lui demander de ses nouvelles à six heures précises . Chapitre 252 La chanson de la joie . NOUS N’ AVONS DIT NI pourquoi s’ habillait PROPN , ni où il allait ; mais le lecteur l’ aura déjà deviné . PROPN était descendu de sa chambre avec les ailes d’ un oiseau . Il avait fait une pose chez le concierge pour ce que nous avons dit ; il avait , par habitude , demandé si l’ on avait pour lui d’ autres lettres que celles de son oncle , avait machinalement jeté les yeux sur les trois ou quatre lettres qu’ on lui avait présentées , et , ne trouvant sur aucune d’ elles l’ écriture qu’ il cherchait , il les avait repoussées , avait pris dans sa poche une petite lettre à l’ écriture fine , à l’ enveloppe délicate et parfumée , l’ avait approchée de ses lèvres , et avait enjambé le seuil de la porte . C’ était la lettre de PROPN reçue à PROPN . Les deux jeunes gens s’ écrivaient tous les jours : les lettres de PROPN étaient adressées à PROPN PROPN PROPN , les lettres de PROPN étaient adressées à PROPN PROPN . PROPN avait puisé dans sa position exceptionnelle une certaine force qui adoucissait la séparation des deux jeunes gens . Cependant , PROPN avait été le premier à lui dire de ne pas lui écrire pendant son absence : une lettre égarée , une lettre volée les perdrait tous les deux . Le jeune homme enfermait les lettres de PROPN dans une espèce de petit coffre - fort en fer admirablement travaillé et qui était lui-même scellé dans un bahut . Il va sans dire que le bahut était excepté de la vente qui devait avoir lieu : ce bahut était sacré . PROPN , avec cette religion de l’ amour que l’ on a pour certains objets , lorsqu’ on aime véritablement , eût regardé comme un sacrilège de le vendre . Si l’ homme restait de vingt ans à cinquante dans le même appartement , meublé des mêmes meubles , il pourrait , avec ces meubles , refaire dans les moindres détails l’ histoire de sa vie ; par malheur , l’ homme éprouve de temps en temps la nécessité de changer d’ appartement , et le besoin de renouveler son mobilier . Disons que la clef du coffre en question ne quittait jamais PROPN : il la portait à son cou , suspendue avec une chaîne d’ or ; puis le serrurier qui l’ avait réparée avait affirmé à PROPN que le plus habile rossignoliste perdrait son temps à la crocheter . PROPN n’ avait donc aucune inquiétude de ce côté . Seulement , comme les rois de PROPN attendent sur les marches du caveau de PROPN que leur successeur vienne les remplacer , une lettre de PROPN attendait toujours , sur le cœur de PROPN , qu’ une autre lettre vînt prendre sa place . Alors l’ ancienne lettre allait rejoindre ses sœurs dans le coffre de fer , qui , lorsque PROPN était à PROPN , s’ ouvrait régulièrement chaque jour pour recevoir un nouveau dépôt , c’ est - à - dire la lettre reçue la veille . La lettre baisée et remise dans sa poche , PROPN sauta lestement par - dessus le seuil de la porte et s’ élança dans PROPN PROPN PROPN , puis , par PROPN PROPN PROPN PROPN , il gagna le boulevard extérieur . Avons -nous besoin maintenant d’ indiquer le but de sa course ? PROPN , lancé du même pas gymnastique , suivit le boulevard des Invalides , et ne s’ arrêta que quelques pas avant d’ arriver à la grille derrière laquelle était situé l’ hôtel du maréchal de Lamothe - Houdan . Après avoir inspecté le boulevard et s’ être assuré qu’ il était désert , ou à peu près , PROPN se hasarda à passer devant la grille . Il ne vit rien et il ne lui parut pas qu’ il eût vu ; aussi revint -il sur ses pas , et , s’ accoudant à un énorme tilleul , leva -t -il les yeux sur les fenêtres de PROPN . Hélas ! le soleil dardait en plein dans les fenêtres et les persiennes étaient fermées ; mais il était bien sûr que , avant que le soir fût venu , l’ une ou l’ autre de ces persiennes se soulèverait et laisserait voir la blanche amie dont il était séparé depuis une éternité . Cependant , le flot des réflexions vint battre son esprit . Que faisait -elle en ce moment ? était -elle chez elle ? pensait -elle à lui juste à cette heure où il était près d’ elle ? Si désert que soit d’ ordinaire le boulevard des Invalides , il y passe de temps en temps un voyageur égaré . Un de ces voyageurs vint du côté de PROPN . PROPN quitta son arbre et se mit en mouvement . Il connaissait depuis longtemps les marches et les contremarches qu’ il fallait faire pour dérouter les regards des passants ou les inquisitions des voisins . Il reprit son pas gymnastique , croisa le voyageur , marchant avec la rapidité d’ un homme extraordinairement affairé et ayant hâte d’ arriver le plus tôt possible au but de sa course . Quelquefois il était impossible à PROPN de se montrer tout à fait et de se livrer à cette télégraphie expressive inventée par les amants longtemps avant que les gouvernements eussent eu l’ idée d’ en faire un moyen de correspondance politique ; mais , alors , elle se doutait bien que PROPN était là ; elle laissait flotter un bout d’ écharpe , passer une boucle de cheveux ; elle laissait tomber ou son éventail ou son mouchoir par les interstices de la jalousie – quelquefois une fleur . Oh ! PROPN était bien heureux quand c’ était une fleur ; car cela voulait dire : « Reviens ce soir , cher Pétrus ! j’ ai l’ espoir que nous pourrons nous voir quelques instants . » D’ autres fois , il n’ apercevait ni écharpe , ni cheveux , ni mouchoir , ni éventail , ni fleur ; mais , sans voir PROPN , il parvenait à entendre sa voix : c’ était un ordre qu’ elle donnait à quelque domestique ; c’ était le bruit d’ un baiser qui retentissait sur le front de PROPN PROPN PROPN , et qui avait son écho – écho délicieux – dans le cœur du jeune homme . Mais les meilleures heures de PROPN étaient les heures du soir et les heures de la nuit , même quand il n’ avait pas l’ espérance de voir PROPN . Que la jeune femme eût ou non laissé tomber cette fleur qui , en tombant , indiquait un rendez-vous , dès que l’ obscurité était venue , PROPN allait s’ adosser à son arbre . Il avait son arbre de prédilection , d’ où il voyait mieux , où il était moins vu . Là , les yeux vaguement fixés sur toute la façade de la maison , il se perdait en de délicieuses rêveries , en de ravissantes contemplations . – PROPN ne soupçonnait même pas sa présence , car , bien certainement , si elle eût cru que PROPN était là , elle eût trouvé moyen d’ ouvrir sa fenêtre et de lui envoyer , sur le rayon de la lune ou le scintillement d’ une étoile , le baiser qu’ il avait si bien mérité . Mais non , ces nuits -là où rien ne lui était promis , PROPN ne demandait pas même un baiser , pas même un mot , pas même un regard . Puis , quand il la revoyait , il se gardait bien de lui dire : « Toutes mes heures de songe , ô PROPN PROPN PROPN ! je viens les passer près de vous . » Non , il eût craint d’ éveiller dans le cœur de la jeune femme les tendresses assoupies pendant son chaste sommeil . Il gardait donc pour lui le doux secret de ces promenades nocturnes , heureux de sa veille à l’ heure où PROPN dormait , à la façon dont sont heureuses les mères pendant le sommeil de leur enfant . Dieu seul sait , et Dieu seul pourrait dire les joies sans mélange – car la pauvre langue humaine est bien pauvre pour exprimer les félicités intimes – , Dieu seul pourrait dire les joies sans mélange , les pures émotions qui caressent les cœurs de vingt-cinq ans pendant ces heures de rêveries silencieuses et de contemplations muettes passées sous les fenêtres d’ une femme bien-aimée . Alors le ciel , l’ air , la terre , appartiennent à l’ amant ; non seulement le monde qu’ il foule aux pieds , mais tous les mondes qui roulent au-dessus de sa tête sont à lui . Dégagée des haillons de la matière , son âme , comme une blanche étoile , rayonne dans un pur éther entre les hommes et Dieu . Mais , il faut le dire , le temps est court pendant lequel les anges prêtent leurs ailes blanches à l’ âme amoureuse , et il vient trop vite un moment où , si elle se hasarde à reprendre son vol , le poids du corps , appesanti par les années , la fait retomber brisée sur la terre . Il va sans dire que PROPN , chassé par son passant , était revenu dès que le passant eut passé . Son âme planait au ciel avec des ailes d’ ange . Et , cependant , pas le moindre mouvement ne faisait osciller les persiennes rigides . Les secondes , les minutes , les heures s’ écoulaient ; sans doute , PROPN était venu trop tard , PROPN était partie . Mais n’ importe ! présente ou absente , PROPN lui parlait ; il lui racontait la longue élégie de ses malheurs . Comment ! insensé qu’ il était , il avait cru que , pour lui plaire , il fallait paraître autre chose que ce qu’ il était , afficher le luxe de la richesse , et non le luxe du génie ; et , dans son imagination , PROPN riait , l’ écoutait , haussait les épaules , l’ appelait enfant ! passait sa main fine et blanche dans les boucles fauves de ses cheveux , le regardait avec ses beaux yeux étincelants , lui disait : « Encore ! encore ! » de sorte que lui , se raillant lui-même , racontait tout , jusqu’ à la visite de son père , jusqu’ à l’ histoire de la ferme ; et PROPN ne riait plus , ne raillait plus ; PROPN pleurait et elle lui disait , tout en pleurant : « Travaille , PROPN PROPN , et sois un homme de génie . Je regarderai , je te le promets , la main qui tient le pinceau et non le gant qui couvrira cette main . Travaille , et , ne te rencontrant point au Bois sur ton arabe gris pommelé , à la queue et à la crinière noires , qui a l’ œil et les pieds de la gazelle , qu’ il semble destiné à poursuivre , je me dirai : « PROPN PROPN PROPN travaille et prépare sa moisson de gloire pour l’ exposition prochaine . Travaille , PROPN PROPN PROPN , et sois un homme de génie ! » Et PROPN en était là de ses rêveries , quand il entendit le bruit d’ une voiture qui venait du côté des Invalides . Il se retourna : c’ était PROPN qui rentrait avec la marquise de la Tournelle et le maréchal de Lamothe - Houdon . PROPN s’ éloigna une seconde fois d’ arbre en arbre , de façon , s’ il était vu , à n’ être reconnu que de PROPN . Encore n’ osa -t -il tourner la tête . Il entendit le bruit criard de la grille qui s’ ouvrait et se refermait , le cri de la clef colossale tournant dans la serrure . Seulement alors , il se retourna : la calèche était rentrée . Cinq heures et demie sonnaient aux Invalides . On dînait chez son oncle à six heures précises : il avait encore vingt minutes , à peu près . Il ne perdit pas de temps et alla se remettre en observation . Mais il se disait à lui-même que PROPN pourrait ainsi , aussitôt rentrée , monter à sa chambre et se mettre à sa persienne ; il lui fallait quelques minutes , une occasion , un prétexte ; l’ avait -elle même vu ? On se rappelle que PROPN n’ avait point osé tourner la tête . Les trois quarts sonnèrent à l’ horloge des Invalides . Comme vibrait encore dans l’ air le dernier frémissement du timbre , la persienne s’ écarta et donna passage d’ abord à la blonde tête d’ Abeille . Mais PROPN était toujours le précurseur de PROPN , comme PROPN PROPN PROPN PROPN ; derrière et au-dessus de la tête de l’ enfant , se montra celle de la jeune femme . Son premier regard dit à PROPN qu’ elle savait qu’ il était là . Depuis combien de temps y était -il ? Voilà ce que PROPN avait complètement oublié , voilà ce qu’ il n’ aurait pas su dire . Quant à PROPN , elle disait bien clairement des yeux : « Ce n’ est pas ma faute , on m’ a emmenée ; je ne voulais pas sortir , je savais que tu viendrais , je t’ attendais . Pardonne -moi , je n’ ai pas pu venir plus tôt ; mais me voilà … » Puis PROPN souriait comme pour dire encore : « Sois tranquille , mon bien-aimé , je te tiendrai compte du temps que tu as perdu à m’ attendre , je te garde une surprise . » PROPN joignit les mains . Quelle était cette surprise ? PROPN souriait toujours . PROPN ne songeait plus que le temps s’ écoulait , que son oncle l’ attendait à dîner , et que son oncle , comme PROPN PROPN , entrait en fureur quand il avait failli attendre . Enfin , PROPN prit une rose qui s’ estompait au milieu des cheveux blonds de PROPN PROPN PROPN ; elle leva la rose à la hauteur de ses lèvres , la laissa tomber en jetant un baiser au vent , et referma la persienne . PROPN poussa un cri de joie : il verrait PROPN pendant la nuit ! Puis , la persienne fermée , des millions de baisers rendus en échange du baiser envoyé , il songea à son oncle , tira sa montre , et regarda l’ heure . Il était six heures moins cinq minutes ! PROPN s’ élança dans PROPN PROPN PROPN , bondissant comme un daim à son premier lancer . Pour un coureur de profession , il y avait dix minutes de chemin de l’ hôtel de Lamothe - Houdon à l’ hôtel Courtenay : PROPN n’ en mit que sept. Le général Herbel avait eu la courtoisie d’ attendre son neveu deux minutes ; mais , de guerre lasse , il venait de se mettre à table quand retentirent les deux coups de cloche annonçant que le convive attardé arrivait . Le général avait à moitié mangé sa bisque aux écrevisses . À l’ aspect du retardataire , ses sourcils se froncèrent démesurément , et , d’ une façon si olympienne , que l’ Autrichien Franz , qui aimait fort PROPN , fit tout bas , dans sa langue maternelle , une prière à son intention . Mais le visage du général reprit sa sérénité ordinaire à l’ aspect pitoyable de son neveu . PROPN ruisselait de sueur .", "— Par ma foi ! dit le général , tu aurais bien dû rester un instant à égoutter dans l’ antichambre , garçon : tu vas tremper ta chaise . PROPN accepta gaiement la boutade de son oncle . Le général pouvait vomir contre lui toutes les flammes de l’ enfer : PROPN avait le paradis dans le cœur . Il prit la main de son oncle , la baisa , et alla s’ asseoir en face de lui . Chapitre 253 Printemps , jeunesse de l’ année ! jeunesse , printemps de la vie ! A NEUF HEURES , PROPN QUITTAIT son oncle et reprenait le chemin de PROPN PROPN PROPN . Avant de rentrer chez lui , il leva la tête vers son pauvre atelier , qui , dans cinq jours , allait être si complètement dévasté , et il y vit de la lumière . — PROPN PROPN ou PROPN , murmura -t -il . Et il passa en faisant de la tête au concierge un signe qui équivalait à ces mots : « Je ne prends pas la clef , puisqu’ on m’ attend . » Le jeune homme ne se trompait point : c’ était PROPN PROPN qui l’ attendait . À peine PROPN eut -il paru sur le seuil , que PROPN PROPN s’ élança dans ses bras et s’ écria : — Succès , PROPN PROPN PROPN ! succès ! — Quel succès ? demanda PROPN . — Quand je dis succès , continua PROPN PROPN , je devrais dire enthousiasme . — De quoi me parles - tu ? voyons ! demanda PROPN en souriant ; car , enfin , s’ il y a succès , je veux y applaudir ; s’ il y a enthousiasme , je veux le partager . — Comment , quel succès ? comment , quel enthousiasme ? Tu as donc oublié que je lisais ce matin aux acteurs de la Porte-Saint-Martin ? … — Je ne l’ ai point oublié , je ne le savais pas . Ainsi donc , succès d’ enthousiasme ? — Immense , mon ami ! Ils sont tous comme des fous . Au second acte , PROPN s’ est levé et est venu me serrer la main ; au troisième , PROPN m’ a embrassé – tu sais que c’ est PROPN qui joue PROPN – ; enfin , quand la lecture a été terminée , tout le monde , acteurs , directeur , régisseur , souffleur , tout le monde m’ a sauté au cou . — Bravo , mon bien cher ! — Et je t’ apportais ma part de contentement . — Merci , ton succès m’ enchante plus qu’ il ne m’ étonne . Nous te l’ avions prédit , PROPN PROPN PROPN . Et PROPN poussa un soupir . En rentrant dans son atelier , qu’ il n’ avait pas revu , en se trouvant en face de tous ces objets d’ art et de fantaisie , réunis avec tant de peine , PROPN avait pensé qu’ il allait quitter tout cela , et cette joie sans mélange de PROPN PROPN lui avait arraché un soupir de la poitrine . — Ah çà ! dit PROPN PROPN , tu nous reviens de PROPN bien triste , cher ami , et c’ est moi qui , à mon tour , te demanderai : « Qu’ as - tu ? » — Et c’ est moi qui te dirai à mon tour : Tu as donc oublié ? — Quoi ? — Eh bien , en revoyant tous ces objets , tous ces bric-à-brac , tous ces bahuts , tous ces meubles que je vais quitter , je t’ avoue que le courage me manque et que mon cœur saigne . — Tu vas quitter tout cela , dis - tu ? — Sans doute . — Tu veux donc louer ton appartement en garni , ou tu veux donc faire un voyage ? — Comment , tu ne sais pas ? — Quoi ? — PROPN ne t’ a pas dit ? — Non . — Alors c’ est bien , causons de ta pièce . — Non , pardieu ! causons de ton soupir . Il ne sera pas dit que je serai gai quand tu seras triste . — Mon cher , dimanche prochain , je fais vendre tout cela . — Comment , tu fais vendre tout cela ? — Oui . — Tu vends tes meubles ? — Cher , si c’ étaient mes meubles , je ne les vendrais pas . — Explique - toi . — Ils ne seront à moi que quand je les aurai payés , et je les vends pour les payer . — Je comprends . — Non , tu ne comprends pas . — Alors dis . — C’ est qu’ en vérité , je suis honteux de mettre mon meilleur ami au courant de mes faiblesses . — Allons donc ! va toujours , va ! — Eh bien , mon cher , j’ étais tout simplement en train de ruiner mon père . — Toi ? — Oui , mon brave et digne père ! Je me suis arrêté à temps , mon ami ; dans un mois , il eût été trop tard . — PROPN , mon cher ami , j’ ai dans mon tiroir trois billets signés Garat , une des signatures non seulement les plus lisibles , mais encore les plus estimables que je connaisse : il va sans dire qu’ ils sont à ta disposition . PROPN haussa les épaules , et , pressant la main de son ami : — Et ton voyage ? lui demanda -t -il . — D’ abord , cher Pétrus , je voyagerais trop tristement , te sachant triste ; puis j’ ai mes répétitions , ma représentation . — Puis encore autre chose , dit PROPN en souriant . — Quoi , autre chose ? demanda PROPN PROPN . — Est -ce que c’ est fini , PROPN PROPN ? — Ah ! grand Dieu ! pourquoi serait -ce fini ? C’ est comme si je te demandais : « Est -ce fini , boulevard des Invalides ? » — Chut , PROPN ! — Mais , tu m’ y fais penser , tu refuses mes pauvres trois mille francs parce que tu ne saurais qu’ en faire . — Mon cher , ce n’ est point pour cela , quoique tu aies raison sur un point : c’ est que mille écus seraient une somme insuffisante . — Eh bien , écoute : arrose toujours , avec mes mille écus , les plus altérés ; fais - leur attendre ma représentation ; le lendemain de la représentation , on ira trouver PROPN , et l’ on aura dix mille francs , quinze mille francs , s’ il les faut absolument , sans un sou d’ intérêt . — Qu’ est -ce que PROPN , mon ami ? — Un homme unique , le rara avis de PROPN , le père nourricier des hommes de lettres , le véritable ministre des beaux - arts , chargé par la Providence de donner des encouragements , des primes au génie 1 . Veux - tu que j’ aille lui dire que tu fais une pièce avec moi ? Il te prêtera dix mille francs là - dessus . — Tu es fou ! est -ce que je fais des pièces ? — Tu n’ es pas si bête , je sais cela ; mais je la ferai tout seul . — Oui , et je partagerai . — Bon ! tu me rendras cela quand tu pourras . — Merci , mon cher ; le quand je pourrai viendrait trop tard , si jamais il venait … — Oui , je comprends , tu préférerais trouver un juif de la tribu de Lévi : on n’ a point de remords de les faire attendre , ceux -là : ils se rattrapent toujours . — Pas plus un juif qu’ un autre , mon ami . — Diable ! diable ! diable ! Eh bien , voilà où l’ on voit que l’ art a ses limites . Comment ! on est auteur dramatique , on a pour état de créer des incidents et d’ en sortir , d’ embrouiller des situations et de les dénouer ; on a la prétention de faire la comédie comme PROPN , la tragédie comme PROPN , le drame comme PROPN , et l’ on reste là , empêtré dans la laine de son mouton comme le corbeau qui veut imiter l’ aigle ; comment ! on doit vingt-cinq ou trente pauvres mille francs peut-être , on a dans les mains , on a dans la tête , on a dans le cœur de quoi les payer un jour , mais , provisoirement , on ne sait à quel saint se vouer – que faire ? — Travailler , dit au fond de l’ atelier une voix douce et sonore . À ce seul mot , on devine quel était le bon génie qui venait ainsi au secours d’ un ami indécis et d’ un auteur dramatique embarrassé . C’ était PROPN . Les deux amis tournèrent la tête en même temps avec un sentiment , PROPN PROPN de joie , PROPN de reconnaissance . Tous deux tendirent la main au nouvel arrivant . — Bonsoir , mes maîtres ! dit -il ; il paraît que nous en étions sur la grande question humaine : « Est-il permis de vivre sans travailler ? » — Justement , dit PROPN , et à un travailleur acharné , à PROPN PROPN , qui , à vingt-six ans , a fait plus que beaucoup d’ académiciens à quarante , je répondais : « Non , cent fois non , cher ami , non . » — Comment , notre poète vantait la paresse ? — Faites -vous recevoir PROPN PROPN , mon cher : vous ferez une chanson tous les mois , tous les trimestres , et même tous les ans , et l’ on ne vous en demandera pas davantage . — Non : il m’ offrait tout simplement sa bourse . — N’ acceptez pas , PROPN ; si vous deviez accepter ce service de la part d’ un ami , j’ eusse réclamé la préférence . — Je n’ accepterais de personne , ami , dit PROPN . — J’ en suis sûr , répondit PROPN ; et voilà pourquoi , sachant que vous n’ accepteriez pas , voilà pourquoi je n’ ai pas offert . — Enfin , dit PROPN PROPN s’ adressant à PROPN , votre avis est donc que nous vendions ? — Sans hésiter ! répondit PROPN . — Vendons donc , dit résolument PROPN . — Vendons , dit PROPN PROPN avec un soupir . — Vendons , dit PROPN . — Vendons ! dit une quatrième voix s’ éveillant comme un écho au fond de l’ atelier . — PROPN ! dirent les trois amis . — Nous sommes donc en train de vendre ? demanda le jeune docteur en s’ avançant , les deux mains ouvertes et le sourire sur les lèvres . — Oui . — Et quoi ? … peut -on savoir ? — Notre cœur , sceptique ! dit PROPN PROPN . — Ah ! ma foi , vendez le vôtre si vous voulez , dit PROPN , quant au mien , je le retire de la montre : il a trouvé son emploi . Puis , sans s’ occuper davantage de la vente en question , les quatre amis se mirent à parler art , littérature , politique , pendant que la bouilloire chantait devant le feu et qu’ eux - mêmes préparaient une tasse de thé . Le thé n’ est bon – consignez bien cet axiome fort important pour les amateurs – , le thé n’ est bon que quand on le prépare soi - même . Chacun resta jusqu’ à minuit . Mais , au timbre de minuit , chacun se leva comme touché par un fil électrique . — Minuit , dit PROPN PROPN , il faut que je rentre . — Minuit , dit PROPN , il faut que je rentre . — Minuit , dit PROPN , il faut que je sorte . — Et moi aussi , dit PROPN . PROPN lui tendit la main . — Il n’ y a que nous deux qui ayons dit la vérité , PROPN PROPN PROPN , dit le commissionnaire . PROPN PROPN PROPN PROPN se mirent à rire . Tous quatre descendirent joyeusement . À la porte , ils s’ arrêtèrent . — Maintenant , dit PROPN , voulez -vous que je vous dise à tous trois où vous allez ? — Oui , répondirent les trois jeunes gens . — Vous , PROPN PROPN , vous allez PROPN PROPN . PROPN PROPN fit un pas en arrière . — À un autre , dit -il en riant . — Vous , PROPN , voulez -vous que je vous dise où vous allez ? — Dites . — PROPN PROPN PROPN . — J’ en tiens , dit PROPN en se reculant . — Et vous , PROPN ? — Oh ! moi … — Boulevard des Invalides . – Seulement , PROPN , du courage ! — J’ en aurai , dit PROPN en serrant la main de PROPN . — Et vous , dit PROPN PROPN , où allez -vous ? Vous comprenez , cher ami , que vous ne pouvez pas emporter nos trois secrets tout entiers sans que nous emportions chacun un morceau du vôtre . — Moi ? dit PROPN d’ un air sérieux . — Oui , vous . — Je vais tâcher de sauver PROPN PROPN , que l’ on exécute dans huit jours . Et chacun tira de son côté . Mais les trois jeunes gens s’ éloignèrent pensifs . Combien il était plus grand qu’ eux , ce mystérieux ouvrier qui faisait obscurément une si grande œuvre , et qui , tandis que chacun d’ eux n’ aimait qu’ une femme , aimait , lui , l’ humanité tout entière ! Il est vrai qu’ il aimait PROPN , et que PROPN l’ aimait . Chapitre 254 PROPN PROPN . SUIVONS CHACUN DE NOS héros ; ce sera peut-être le moyen de faire faire à notre histoire quelques pas en avant . Selon l’ ordre hiérarchique , nous commencerons par PROPN PROPN . Il y a loin de PROPN PROPN PROPN PROPN PROPN à PROPN PROPN PROPN ; aussi PROPN PROPN prit -il , PROPN PROPN PROPN , un cabriolet qu’ il rencontra s’ en retournant à vide à la barrière PROPN PROPN ; puis il traversa PROPN PROPN , à peu près . Vers la fin de 1827 , PROPN finissait à PROPN PROPN PROPN PROPN , et PROPN PROPN PROPN PROPN commençait PROPN PROPN . Au tiers de la rue , PROPN PROPN fit arrêter le cocher . Le cocher lui avait inutilement demandé le numéro . — Je vous arrêterai , avait répondu PROPN PROPN . Le quart après minuit sonnait à l’ église Notre-Dame-de-Lorette , que l’ on venait d’ achever . PROPN PROPN paya son cocher en poète satisfait et en amoureux content ; puis il se glissa contre les murailles , enveloppé dans son manteau . – À cette époque , les jeunes gens , comme ces portraits - frontispices de PROPN , de Chateaubriand et de PROPN PROPN PROPN , portaient encore des manteaux . Arrivé au numéro 24 , PROPN PROPN s’ arrêta . La rue était déserte ; il tira , près de la sonnette visible , un petit bouton presque invisible et attendit . Le concierge ne tira point le cordon , mais vint ouvrir lui-même . — PROPN ? dit à demi-voix PROPN PROPN en glissant une pièce d’ or dans la main de l’ aristocrate concierge pour l’ indemniser de son dérangement nocturne . Le concierge fit un signe d’ intelligence , rentra avec PROPN PROPN dans la loge , et ouvrir une porte qui donnait sur un escalier de service . PROPN PROPN s’ y élança . Le concierge ferma la porte derrière lui . Puis , regardant la pièce d’ or : — Peste ! dit -il , PROPN PROPN m’ a l’ air d’ avoir fait là une bonne affaire ;", "cela ne m’ étonne plus qu’ elle soit si élégante ! Quant à PROPN PROPN , il monta l’ escalier avec une rapidité indiquant à la fois sa connaissance des localités et son désir d’ arriver au troisième étage , qui semblait être le but de son excursion nocturne . Cela était d’ autant plus probable , qu’ une figure , à moitié perdue dans l’ obscurité , paraissait attendre son arrivée . — C’ est toi , PROPN ? dit le jeune homme . — Oui , monsieur , répondit une soubrette dont la tenue irréprochable justifiait pleinement ce que venait d’ en dire le concierge . — Ta maîtresse ? — Elle est prévenue . — Pourra -t -elle me recevoir ? — Je l’ espère . — Informe - toi , PROPN , informe - toi . — Monsieur veut -il , en attendant , entrer dans le pigeonnier ? demanda en souriant PROPN PROPN PROPN . — Où tu voudras , PROPN ; où tu voudras , mon enfant , pourvu que , où je rentrerai , je ne reste pas longtemps seul . — Oh ! quant à cela , soyez tranquille , vous pouvez vous vanter qu’ on vous aime . — Vrai , PROPN , on m’ aime ? — Dame ! vous le méritez bien aussi . — Flatteuse ! — Un homme dont on parle dans les journaux ! — Eh bien , mais est -ce qu’ on ne parle aussi de PROPN PROPN PROPN dans les journaux ? — Oui ; mais , lui , ce n’ est pas la même chose . — Bon ! — Ce n’ est pas un poète . — Non ; mais , en revanche , c’ est un banquier . Ah ! PROPN , entre un banquier et un poète , crois -moi , il y a peu de femmes qui choisiraient le poète … — Cependant , ma maîtresse … — Ta maîtresse , PROPN , n’ est point une femme , c’ est un ange . — Et moi , que suis -je ? — Une abominable bavarde qui me fait perdre tout mon temps . — Entrez , dit la soubrette ; on va tâcher de rattraper le temps perdu . Et elle poussa PROPN PROPN dans ce que le jeune homme appelait le pigeonnier . C’ était une charmante petite pièce toute tendue en perse , ainsi que le cabinet de toilette qui y attenait ; les sofas , les coussins , les rideaux , le lit , tout était en perse . Une veilleuse suspendue au plafond dans une lampe de verre de Bohême rose éclairait cette petite tente , qui semblait celle que les sylphes et les ondins dressent pour la reine des fées , lorsque celle-ci voyage dans ses États . Et , en effet , lorsque PROPN PROPN PROPN ne pouvait pas recevoir PROPN PROPN chez elle , c’ était là qu’ elle venait passer une heure avec lui ; elle avait fait arranger cette petite pièce elle-même et à son goût , dans ce but et à cette intention . Seulement , comme elle était située sous les tuiles , la jeune femme , ainsi que PROPN PROPN , l’ appelait le pigeonnier . Et la petite pièce méritait son titre , non seulement parce qu’ elle était située au troisième étage , mais aussi parce qu’ on s’ y aimait tendrement . Tout le monde , excepté PROPN PROPN PROPN , PROPN PROPN , PROPN PROPN PROPN PROPN qui l’ avait arrangée , ignorait l’ existence de cette coque de papillon . C’ était là qu’ étaient renfermés , cachés dans cette cachette , tous ces mille souvenirs qui font la richesse des amours réels : les boucles de cheveux coupées , les rubans tombés des cheveux et portés sur le cœur , les bouquets de violette de Parme fanés , et jusqu’ aux cailloux veinés ramassés sur les plages marines où les deux amants s’ étaient rencontrés pour la première fois et avaient erré ensemble ; c’ était là qu’ étaient enfermées – bien le plus précieux de tous ! – ces lettres à l’ aide desquelles , depuis le premier jour où ils s’ étaient dit qu’ ils s’ aimaient , ils pouvaient remonter le cours de leur vie flot par flot , arbre par arbre , fleur par fleur ; ces lettres , qui sont presque toujours une catastrophe dans les amours , et que , néanmoins , l’ on ne peut pas s’ empêcher de s’ écrire , et que , néanmoins , l’ on n’ a pas le courage de brûler ; et , cependant , on pourrait les brûler et en garder les cendres ; mais les cendres , c’ est l’ image de la mort et l’ emblème du néant . Il y avait là , sur la cheminée , le petit portefeuille où tous deux avaient écrit une même date , celle du 7 mars ; il y avait , aux deux côtés de la glace de cette cheminée , deux petits tableaux de fleurs peints par PROPN PROPN PROPN , du temps où elle était encore jeune fille ; il y avait – relique étrange à laquelle , avec la superstition des poètes , PROPN PROPN avait la foi la plus complète – , il y avait , suspendu à la glace de la cheminée , le chapelet d’ ivoire avec lequel PROPN avait fait sa première communion ; il y avait tout ce qui , dans une chambre destinée non seulement à la réunion et au bonheur , mais aussi à l’ attente et à la rêverie , il y avait tout ce qui peut faire supporter l’ attente , tout ce qui peut doubler le bonheur . Au reste , il va sans dire que ce n’ était jamais que PROPN PROPN qui attendait . D’ abord , il s’ était complètement refusé à user de cette chambre , empruntée à l’ hôtel de Marande . Il avait , avec un sentiment de délicatesse partant de certaines âmes d’ élite , exprimé cette répugnance à PROPN . Mais PROPN lui avait répondu : — Rapportez -vous -en à moi , mon ami , et ne cherchez point à être plus délicat que je ne suis délicate moi - même ; ce que je vous propose , croyez -moi , je puis vous le proposer , c’ est mon droit . Et PROPN PROPN avait voulu se faire donner des explications sur ce droit ; mais PROPN l’ avait arrêté tout court . — Rapportez -vous -en à ma susceptibilité , avait -elle dit , mais ne m’ en demandez pas davantage ; car vous me demandez de vous révéler un secret qui n’ est pas le mien . Et PROPN PROPN , qui , au bout du compte , était amoureux comme un fou , avait fermé les yeux et s’ était laissé conduire par la main dans le petit pigeonnier de PROPN PROPN PROPN . C’ était là qu’ il avait passé les plus douces heures de sa vie . Là , nous l’ avons dit , tout était doux , même l’ attente . Cette nuit comme les autres , il était dans cette disposition d’ esprit et de cœur , pleine de charme et de tendresse , attendant la délicieuse créature qu’ il adorait . Il baisait avec la religion du cœur le chapelet d’ ivoire qui avait reposé sur le cou de PROPN PROPN , quand il entendit le frôlement d’ un peignoir et le pas de quelqu’ un qui approchait . Il reconnut ces deux bruits , et , sans lever ses lèvres du chapelet , il se contenta de se tourner à demi vers la porte . Le baiser , commencé sur l’ ivoire , s’ acheva sur le front frissonnant de la jeune femme . — Me suis -je fait attendre ? demanda -t -elle en souriant . — Le temps que se serait fait attendre un oiseau , dit PROPN PROPN ; mais , vous le savez , la douleur , chère PROPN , se mesure , non point par sa durée , mais par son intensité . — Et le bonheur ? — Oh ! le bonheur ne se mesure pas , lui . — Voilà donc pourquoi il dure moins longtemps que la douleur ? Allons , venez , monsieur le poète ! on a des compliments à vous faire . — Eh bien , mais … demanda PROPN PROPN , qui éprouvait pour descendre chez PROPN PROPN PROPN , la même répugnance qu’ il avait éprouvée d’ abord à monter au pigeonnier – pourquoi pas ici ? — Parce que j’ ai voulu que , pour vous , la journée finît comme elle avait commencé : entre vos deux adorations , les fleurs et les parfums . — Ô PROPN PROPN PROPN ! dit le jeune homme en regardant amoureusement la jeune femme , n’ êtes -vous donc pas un parfum et une fleur ? et , pour trouver mes deux adorations , comme vous dites , ai -je donc besoin d’ aller autre part qu’ où vous êtes ? — Vous avez besoin de m’ obéir en tout point ; or , ce soir , j’ ai décidé que ce serait chez moi qu’ on vous couronnerait de lauriers ; poète , venez - donc , ou pas de couronne . PROPN PROPN dégagea doucement sa main de la main de la belle magicienne , et il s’ en alla à la fenêtre , dont il tira doucement le rideau . — Mais , dit -il , PROPN PROPN PROPN est chez lui ? — Est-il chez lui ? demanda insoucieusement PROPN . — Parfaitement , dit PROPN PROPN . — Ah ! fit la jeune femme . — Eh bien ? — Eh bien , je vous attends … Ah ! vous ne venez pas comme un oiseau , vous , et il ne suffit pas de vous faire signe . — PROPN , parfois , je vous jure que vous m’ effrayez . — Pourquoi ? — Parce que je ne vous comprends plus . — Oui , n’ est -ce pas ? et que vous vous dites : « Mais , en vérité , cette petite madame de Marande est donc ? … » — N’ achevez pas , PROPN ; je sais que vous êtes non seulement une adorable femme , mais encore un cœur honnête , une âme délicate . — Seulement , vous doutez … PROPN PROPN PROPN , voulez -vous , oui ou non , me suivre dans mon appartement ? C’ est mon droit de vous y conduire . — Et votre droit est un secret qui ne vous appartient pas ? — Non . — Heureusement que , comme tout secret , il est permis de le deviner ! — Pourvu que je ne vous y aide en aucune façon , ma conscience est en repos . Cherchez … — Je crois que j’ ai trouvé , PROPN . — Bah ! fit la jeune femme en ouvrant ses grands yeux , où il y avait encore plus de doute que d’ étonnement . — Oui . — Eh bien , voyons . — Si j’ ai rencontré juste , me direz -vous : « C’ est cela ? » — Allez toujours . — Eh bien , j’ ai croisé hier votre mari dans l’ allée qui conduit à PROPN PROPN . — À cheval ou en calèche ? — À cheval . — Seul ? — Dois -je vous répondre franchement ? — Oh ! faites , cher ; je ne suis pas jalouse . Et PROPN PROPN PROPN jeta hors de ses lèvres cette affirmation avec tant de franchise , qu’ il était facile de voir qu’ elle disait toute la vérité . — Eh bien , non , il n’ était pas seul : il servait de cavalier à une charmante amazone . — Ah ! vraiment ? — Est -ce que je vous apprends quelque chose de nouveau ? — Non ; mais je ne vois pas venir le secret dans tout cela . — Eh bien , alors , j’ ai pensé que , puisque PROPN PROPN PROPN ne se faisait pas scrupule d’ aller au bois avec une autre que sa femme , de là le droit que vous vous croyez . — Je ne vous ai pas dit que je me croyais un droit , je vous ai dit que je l’ avais . — Je n’ ai donc pas deviné ? — Non . — Maintenant , PROPN , laissez -moi vous faire une question . — Faites . — Y répondrez -vous ? — C’ est selon . — Comment se fait -il que PROPN PROPN PROPN , ayant pour femme une adorable créature comme vous , au lieu d’ être l’ amant de toutes les femmes … — Eh bien ? — Ne soit pas le mari de la sienne ? — Voilà justement le secret que je ne puis pas vous dire , cher poète . — Pourquoi ? — Je vous le répète , parce que ce n’ est point mon secret . — Mais le secret de qui est -ce donc ? — C’ est le secret de PROPN PROPN PROPN … Venez ! Et PROPN PROPN , ne trouvant plus d’ objections à faire , se laissa guider par PROPN PROPN PROPN à travers les détours du labyrinthe de l’ hôtel de PROPN PROPN PROPN . — Allons , murmura -t -il en la suivant , il paraît que , dans ce labyrinthe -là , au moins , il n’ y a pas de PROPN ! Chapitre 255 Rue d’ PROPN . - Les pressentiments de PROPN . L ’ APPARTEMENT DE PROPN PROPN PROPN était , on le sait déjà , au premier étage du corps de logis formant l’ aile droite de l’ hôtel de PROPN PROPN PROPN ou d’ PROPN , suivant que l’ on nous permettra d’ appeler cette rue de son nom actuel ou que l’ on exigera que nous l’ appelions de son ancien nom . C’ est là que nous abandonnerons PROPN PROPN PROPN PROPN PROPN PROPN , pour un motif que le plus difficile de nos lecteurs ne saurait trouver mauvais , la porte de l’ appartement de PROPN PROPN PROPN s’ étant soigneusement , et à double tour , refermée entre les deux amants et nous . D’ ailleurs , qu’ irions -nous faire dans la chambre de cette adorable madame de Marande , que nous aimons de toute notre âme ? Cette chambre , nous la connaissons . Suivons donc , dans le quartier moins aristocratique vers lequel il chemine en rêvant , ce poète fraîchement éclos aux rayons de l’ amour , et que nous avons nommé PROPN . Il arriva PROPN PROPN PROPN . Quelqu’ un lui eût demandé comment il y était venu et par quelles rues il avait passé eût fort embarrassé PROPN . À travers les volets médiocrement clos du rez-de-chaussée qu’ habitaient PROPN PROPN PROPN PROPN PROPN PROPN PROPN PROPN PROPN ses compagnons , PROPN aperçut une fuite de lumière . Cette lumière augmentait ou diminuait tour à tour , preuve qu’ on était encore levé et qu’ on la faisait voyager d’ une chambre à l’ autre . PROPN s’ approcha et colla son œil à l’ ouverture en homme qui la connaissait . Mais , quoique la fenêtre fût entrebâillée , vu la disposition des personnages et la place qu’ ils occupaient , PROPN ne put rien apercevoir . Ce qu’ il comprit , c’ est que PROPN n’ était pas encore montée à l’ entresol , rien n’ y annonçant la présence de l’ enfant , ni la veilleuse à la douce lumière qui brûlait dans la chambre , ni le rosier contenant la fleur qui portait son nom , et qu’ en rentrant , elle mettait sur la fenêtre , PROPN lui ayant positivement défendu d’ avoir des fleurs ni des plantes dans sa chambre tandis qu’ elle dormait . Or , ne pouvant voir , PROPN écouta . PROPN PROPN PROPN PROPN , déjà silencieuse dans le jour comme le faubourg d’ une ville de province , était , à cette heure , déserte comme une grande route . On pouvait donc , en prêtant une attention continue , entendre , à peu de chose près , la conversation des personnages qui habitaient le rez-de-chaussée . — Qu’ as - tu donc , mon chéri ? demandait PROPN PROPN . Cette question était évidemment la suite d’ une conversation entamée avant l’ arrivée de PROPN . Mais personne ne répondait . — Puisque je te demande ce que t’ as , mon bijou , répéta la sorcière d’ une voix plus inquiète . Malgré ce redoublement d’ intérêt , même silence . — Oh ! oh ! le chéri et le bijou auquel tu t’ adresses , mère Brocante , est un polisson , un malappris de ne pas te répondre , pensa PROPN ; et c’ est sans doute ce drôle de Babolin , qui boude ou qui fait le malade . La Brocante continuait ses interrogations , mais toujours sans obtenir la moindre réponse ; seulement , on pouvait remarquer que , par une gamme insensible , sa voix montait du ton de la douceur au ton de la menace . — Si tu ne réponds pas , PROPN PROPN , dit enfin la bohème , je te promets , mon chéri , que tu vas recevoir une fière danse , entends - tu ? Sans doute le personnage , ou plutôt l’ animal auquel s’ adressaient les questions successives que nous avons surprises , jugea qu’ il y avait danger pour sa peau à garder plus longtemps le silence , car il répondit par un grognement qui , en s’ allongeant d’ une façon indéfinie , s’ acheva dans un hurlement des plus lamentables . — Qué que n’ avons donc , PROPN PROPN PROPN ? s’ écria PROPN PROPN en poussant une exclamation qui avait une certaine analogie philologique avec le grognement de son chien favori . PROPN , qui semblait avoir parfaitement compris cette interrogation nouvelle , répondit sans doute par un second grognement plus explicite encore que le premier , car PROPN PROPN s’ exclama sur le ton du plus vif étonnement : — Est -ce possible , PROPN ? — Oui , répondit le chien dans son idiome . — PROPN ! cria PROPN PROPN , Babolin ! petit gueux ! — De quoi ? de quoi ? demanda PROPN , tiré intempestivement de son premier sommeil . — Mes cartes , drôle ! — Oh ! oh ! oh ! des cartes à cette heure - ci ? Bon , bon , bon , il ne nous manquait plus que cela ! — Mes cartes , te dis -je ! Mais PROPN ne répondit que par une espèce de grognement qui indiquait que le bonhomme n’ était pas tout à fait étranger à la langue maternelle de PROPN . — Ne me fais pas répéter deux fois , mauvais mioche ! dit la vieille . — Qu’ est -ce que vous voulez faire de vos cartes , à cette heure ? dit le gamin du ton d’ un interlocuteur qui commence à désespérer de faire entendre raison à son adversaire . Vos cartes , c’ est du joli , allez ! si la police savait que vous faites les cartes à une heure indue , à deux heures du matin … — Oh ! mon Dieu ! dit la douce voix de PROPN , est -ce vrai qu’ il est deux heures du matin ? — Eh ! non , fillette , il est minuit à peine , dit PROPN PROPN . — Oh ! oui , minuit , dit PROPN , allez - y voir . Comme pour terminer la discussion , la pendule sonna la demie . — Là ! voyez -vous , une heure qui sonne ! s’ écria PROPN . — C’ est - à - dire minuit et demi , riposta PROPN PROPN , qui ne voulait pas avoir le dernier mot . — Oui , oui , minuit et demi ! qu’ est -ce qui dit cela ? Votre maudit coucou , qui ne bat que d’ une aile . Allons , bonsoir , la maman ! soyez bien gentille et laissez pioncer tranquillement PROPN PROPN PROPN . Nous demandons pardon au lecteur pour le mot pioncer ; mais il avait encore cours à cette époque . Il paraît , au reste , que PROPN PROPN en comprit à merveille la portée , car elle s’ écria : — Attends , attends , je vais te faire pioncer , moi ! Sans doute PROPN , de son côté , comprit de quelle façon désobligeante PROPN PROPN allait l’ endormir , ou plutôt le réveiller , car il sauta de son lit à terre , et , de terre , sur le martinet vers lequel la Brocante étendait la main . — Ce n’ est pas le martinet que je te demande , dit alors PROPN PROPN , ce sont les cartes . — Eh bien , les voilà , vos cartes , dit PROPN en les apportant à PROPN PROPN et en cachant le martinet derrière son dos . Puis il ajouta , en manière de commentaire :", "— Si cela ne fait pas suer , de voir une femme d’ âge passer son temps à de pareilles bêtises , au lieu de s’ endormir tranquillement ! — Est-il possible que tu sois si ignorant à l’ âge après lequel tu cours ! dit PROPN PROPN avec un mouvement d’ épaules plein de mépris ; mais tu ne vois donc rien , tu n’ entends donc rien , tu n’ observes donc rien ? — Mais si , mais si ! je vois qu’ il est une heure du matin ; j’ entends que tout PROPN ronfle , excepté nous , et je vous observe que c’ est le moment de suivre l’ exemple de tout PROPN . Je vous observe n’ était peut-être pas d’ un français bien pur ; mais on se souvient que l’ éducation de PROPN avait été tant soit peu négligée . — Oui , plaisante , plaisante , malheureux ! s’ écria PROPN PROPN en lui arrachant les cartes des mains . — Mais , jour de Dieu ! la mère , que voulez -vous donc que j’ observe ? dit PROPN en poussant un bâillement des plus énergiques et des plus prolongés . — Tu n’ as donc pas entendu PROPN ? — Ah ! oui , votre chéri … Eh bien , il ne manquerait plus que cela d’ être obligé d’ écouter monsieur ! — Tu ne l’ as donc pas écouté , je te réitère ? — Eh bien , si , je l’ ai écouté . — Qu’ a -t -il fait ? — Il a gémi . — Et , de sa plainte , tu n’ as tiré aucune conjecture ? — Si fait . — À la bonne heure ! quelle conjecture en as - tu tirée ? Voyons . — Si je vous le dis , me laisserez -vous dormir ? — Oui , paresseux ! — Eh bien , j’ en ai tiré la conjecture qu’ il avait une indigestion . Il a mangé ce soir comme quatre , et il a bien le droit de gémir comme deux . — Tiens , dit PROPN PROPN furieuse , va te coucher , méchant gamin ! Tu mourras dans la peau d’ un imbécile , c’ est moi qui te le prédis . — Allons , allons , la maman , calmez -vous ; vous savez que vos prédictions ne sont point des paroles d’ Évangile , et , puisque vous m’ avez réveillé , expliquez -moi les grognements de PROPN . — Un malheur plane sur nous , PROPN . — Ah bah ! — Un grand malheur : PROPN ne hurle pas sans cause . — Je comprends bien , PROPN , que PROPN , qui ne manque de rien , qui est ici comme un coq en pâte , ne s’ amusera pas à gémir pour le roi de PROPN ; mais encore , de quoi gémit -il ? – Voyons , de quoi gémis - tu , PROPN ? — C’ est ce que nous allons voir , dit PROPN PROPN en battant ses cartes . Viens ici , PROPN . PROPN ne répondit point à cet appel . La Brocante l’ appela une seconde fois ; mais la corneille ne bougea point . — Parbleu ! à cette heure - ci , dit PROPN , ce n’ est pas étonnant : elle dort , la pauvre bête ; sans compter qu’ elle a bien raison , et que ce n’ est pas moi qui la blâmerai pour cela . — Rose , dit PROPN PROPN . — Mère , répondit l’ enfant interrompant pour la seconde fois sa lecture . — Laisse ton livre , petite , et appelle PROPN . — PROPN ! PROPN ! chanta le jeune fille avec sa voix douce , qui retentit dans le cœur de PROPN comme le ramage d’ un oiseau . La corneille s’ élança aussitôt hors de son clocher , décrivit au - dessous du plafond quatre ou cinq cercles , et vint se percher sur l’ épaule de la jeune fille , comme nous l’ avons déjà vue faire dans le chapitre où nous avons présenté à nos lecteurs l’ intérieur de PROPN PROPN . — Mais qu’ avez -vous donc , mère ? demanda l’ enfant . Vous paraissez tout émue ! — J’ ai de bien tristes pressentiments , PROPN PROPN PROPN , répondit PROPN PROPN : vois comme PROPN est inquiet , vois comme PROPN est effarée ; si les cartes sont mauvaises avec cela , mon enfant , il faut nous attendre à tout . — Vous m’ effrayez , mère ! dit PROPN . — Mais à qui en a -t -elle donc , la vieille sorcière ? demanda PROPN , et à quoi bon jeter ainsi le trouble dans le cœur de la pauvre enfant ? Que diable ! quoiqu’ elle en vive , et surtout parce qu’ elle en vit , elle sait bien que ses cartes , c’ est du charlatanisme . J’ ai bonne envie de l’ étrangler , elle , sa corneille et ses chiens . Les cartes furent mauvaises . — Attendons -nous à tout , PROPN ! dit douloureusement la sorcière , qui , quoi qu’ en dît PROPN , prenait au sérieux sa profession de magicienne . — Mais , enfin , bonne mère , dit PROPN , si la Providence permet que vous soyez avertie du malheur , elle doit vous donner en même temps les moyens de l’ éviter . — Chère enfant ! murmura PROPN . — Non , dit PROPN PROPN , non , voilà le triste : c’ est que je vois le mal et que je ne sais point comment y échapper . — Eh bien , alors , la belle avance ! dit PROPN . — Ah ! mon Dieu ! mon Dieu ! murmura PROPN PROPN en levant les yeux au ciel . — Bonne mère ! bonne mère ! fit PROPN , ce ne sera peut-être rien . Il ne faut pas nous alarmer ainsi . Voyons , quel malheur peut donc nous arriver ? Nous n’ avons jamais fait de mal à personne ! nous n’ avons jamais été si heureux ; PROPN PROPN veille sur nous … J’ aime . Elle s’ arrêta ; elle allait dire , la naïve enfant : « J’ aime PROPN ! » ce qui lui paraissait , à elle , le comble du bonheur . — Tu aimes quoi ? demanda PROPN PROPN . — Oh ! tu aimes quoi ? fit PROPN . Puis , à demi-voix : — Dis donc , PROPN , PROPN PROPN qui croit que c’ est le sucre , la mélasse ou le raisin sec que tu aimes ! Oh ! elle est bonne , la Brocante ! fameuse , la Brocante ! Et PROPN se mit à chanter , sur un air connu : Nous aimons d’ amour , le fait est public , PROPN PROPN ... Mais PROPN tourna vers l’ affreux gamin un si doux regard , que celui-ci s’ arrêta tout court , en disant : — Eh bien , non , non , tu ne l’ aimes pas , là ! Es - tu contente , petite sœur de mon cœur ? Dis donc , PROPN PROPN , il me semble que ce n’ est pas difficile de faire des vers comme PROPN PROPN PROPN : tu vois , j’ en exécute malgré moi ... Ah ! c’ est décidé , je me fais poète . Mais tout ce que pouvait dire PROPN ou PROPN ne parvenait point à tirer PROPN PROPN de sa préoccupation . Aussi persista -t -elle , et fût -ce d’ une voix lugubre qu’ elle reprit : — Monte te coucher , mon enfant . – Et toi , fais -en autant , paresseux ! ajouta -t -elle en se tournant vers PROPN , qui bâillait à se décrocher la mâchoire ; pendant ce temps , je vais méditer et essayer de conjurer le mauvais sort . – Monte te coucher , mon enfant . — Ah ! fit PROPN en respirant , voilà le premier mot raisonnable que tu dis depuis une heure que tu parles , vieille sorcière ! PROPN monta à son entresol ; PROPN se réintégra dans son lit , et PROPN PROPN , pour méditer plus à son aise , sans doute , ferma la fenêtre . Chapitre 256 Rue d’ PROPN . Paul et PROPN PROPN PROPN PROPN TRAVERSA LA rue et alla s’ appuyer à la maison en face ; de là , il se mit à regarder les fenêtres de PROPN , qui s’ illuminaient à travers leurs petits rideaux blancs . Depuis le moment où l’ amour était si tardivement entré dans son cœur , PROPN avait passé tous les jours à rêver à PROPN et une partie de ses nuits à veiller sous les fenêtres de l’ enfant , comme PROPN à se promener devant la porte de PROPN . Cette nuit -là était une belle nuit d’ été ; l’ atmosphère était de ce bleu transparent et limpide que le ciel de PROPN verse sur le golfe de PROPN . À défaut de la lune absente , les étoiles répandaient leurs lumières à la fois les plus vives et les plus douces . On se fût cru dans un de ces paysages PROPN PROPN où , comme dit PROPN , l’ obscurité est non pas la nuit , mais l’ absence du jour . PROPN , les yeux fixés sur les fenêtres de Rose-de-Noël , le cœur en proie aux plus douces émotions , savourait , tout en rêvant , les douceurs ineffables de cette nuit . Il n’ avait pas dit à PROPN qu’ il viendrait , il n’ y avait pas de rendez-vous pris entre lui et la chère enfant ; mais , comme elle savait qu’ il était bien rare que , vers minuit ou une heure du matin , le jeune homme ne fût point là , lui s’ attendait bien que , aussitôt montée chez elle , elle ouvrirait sa fenêtre . Ce qui le confirma davantage encore dans cette opinion , c’ est que les fenêtres , à peine éclairées un instant par le reflet de la lumière , s’ éteignirent tout à coup . PROPN venait d’ enfermer la bougie dans un petit cabinet ; puis la fenêtre s’ ouvrit doucement , et , tout en posant son rosier sur l’ appui de cette même fenêtre , PROPN promena son regard dans la rue . Ses yeux , encore pleins de lumière , hésitèrent un instant à reconnaître PROPN dans l’ ombre qui se dessinait sous la porte de la maison en face . Mais PROPN avait tout vu , lui , et sa voix , traversant l’ espace , alla faire tressaillir l’ enfant jusqu’ au fond du cœur . — Rose ! avait dit la voix . — PROPN ! répondit PROPN . Car quel autre que PROPN pouvait appeler PROPN avec une voix si douce , que cette voix semblait un soupir de la nuit ? PROPN ne fit qu’ un bond , et , de ce bond , il traversa la rue . Devant la maison de PROPN PROPN , était une de ces hautes bornes que l’ on ne retrouve plus maintenant qu’ aux angles des vieilles maisons PROPN PROPN . PROPN sauta bien plus qu’ il ne monta sur la borne . Parvenu sur le sommet , en étendant la main , il put saisir et presser les deux mains de PROPN . Il les pressa longtemps ainsi sans rien dire , ne murmurant rien autre chose que ces deux mots : — Rose ! chère Rose ! Quant à PROPN , elle ne murmurait pas même le nom du jeune homme ; elle le regardait , et sa poitrine , haletant doucement , respirait la vie et le bonheur . En effet , qu’ avaient -ils besoin d’ échanger des paroles inutiles , ces deux enfants , aussi savants l’ un que l’ autre pour sentir , aussi ignorants l’ un que l’ autre pour exprimer ? Tout leur cœur était passé dans la tendre étreinte . Leur voix n’ eût pas ajouté un mot de plus à ce concert où les regards sont des chansons . PROPN conserva les mains de PROPN dans les siennes , sans que PROPN songeât même à les retirer . Il la contemplait dans cette douce extase où est plongé l’ enfant ou l’ aveugle apercevant pour la première fois la lumière . Enfin , rompant le silence : — Ah ! Rose ! chère Rose ! dit -il . — Ami , répondit PROPN . Et de quel ton dit -elle ce simple mot ami ? avec quelle adorable intonation ? C’ est ce que nous ne saurions rendre . Mais ce seul mot fit délicieusement tressaillir PROPN . — Oh ! oui , votre ami , PROPN , dit -il ; l’ ami le plus tendre , le plus dévoué et le plus respectueux aussi ... Ton ami , ton frère , ma douce sœur ! Comme il venait de prononcer ces paroles , il entendit un bruit de pas ; ce bruit , quoiqu’ on tentât évidemment de l’ amortir , retentissait dans la rue déserte comme sur le pavé sonore d’ une cathédrale . — Quelqu’ un ! dit -il . Et il sauta à bas de sa borne . Puis , traversant rapidement la rue , il alla s’ effacer à l’ angle formé par PROPN PROPN PROPN PROPN et PROPN PROPN PROPN PROPN . De loin , alors , il aperçut deux ombres . Pendant ce temps , PROPN refermait sa fenêtre , mais restait bien certainement debout derrière le rideau . Les deux ombres s’ approchèrent : c’ étaient deux hommes qui semblaient chercher une maison . Arrivés devant celle de la Brocante , ils s’ arrêtèrent , regardèrent le rez-de-chaussée , puis l’ entresol , puis la borne sur laquelle était monté , un instant auparavant , PROPN . — Que veulent ces deux hommes ? se demanda PROPN en traversant la rue et en se glissant le long de la muraille pour se rapprocher le plus possible . Il marchait doucement et se tenait si bien caché , que les deux inconnus ne l’ aperçurent pas , et qu’ il put entendre l’ un qui disait à l’ autre : — C’ est bien ici . — Hein ! qu’ est -ce que cela veut dire ? pensa PROPN en ouvrant sa trousse et en tirant son scalpel le plus acéré , afin d’ avoir une arme en cas d’ événement . Mais sans doute les deux hommes avaient vu tout ce qu’ ils avaient à voir , avaient dit tout ce qu’ ils avaient à dire ; car , faisant volte - face , ils coupèrent � � leur tour la rue diagonalement et s’ éloignèrent par PROPN PROPN PROPN PROPN . — Oh ! oh ! murmura PROPN , PROPN courrait -elle , en effet , quelque danger , ainsi que le présageait PROPN PROPN ? PROPN , comme nous l’ avons dit , s’ était retirée et avait poussé la fenêtre ; mais , comme nous l’ avons dit encore , elle était restée debout derrière le rideau : à travers un coin de la vitre , elle vit les deux hommes s’ éloigner par PROPN PROPN PROPN PROPN . Les deux hommes disparus , elle rouvrit la fenêtre et se montra de nouveau . PROPN remonta sur sa borne et reprit les deux mains de la jeune fille . — Qu’ était -ce donc , ami ? demanda -t -elle . — Rien , PROPN PROPN , répondit PROPN . Sans doute deux passants attardés qui regagnaient leur domicile . — J’ ai eu peur , dit PROPN . — Moi aussi , murmura PROPN . — Toi aussi ? dit la jeune fille ; toi ! tu as eu peur ? C’ est bon pour moi d’ avoir peur , car la Brocante m’ avait effrayée …", "PROPN fit un signe de tête qui voulait dire : « Pardieu ! je le sais bien . » — Il faut te dire , bon ami , continua PROPN , que j’ étais en train de lire le livre que tu m’ as donné , tu sais , PROPN et PROPN . Oh ! que c’ est joli ! si joli , que je ne pensais pas à monter me coucher . — PROPN PROPN PROPN ! — Oui , c’ est vrai , je savais pourtant que tu devais venir . Eh bien , je ne remontais pas … Que disais -je donc ? — Tu disais , mon enfant , que la Brocante t’ avait effrayée . — Ah ! oui , c’ est juste ; mais te voilà , je n’ ai plus peur . — Tu disais encore que PROPN et PROPN t’ amusait tellement , que tu ne pensais pas à remonter . — Non ; imagine - toi qu’ il me semblait que je faisais un rêve et que ce rêve s’ ouvrait sur une époque de ma vie que j’ avais oubliée . Dis donc , PROPN , toi qui sais tant de choses , est -ce que c’ est vrai que l’ on a déjà vécu avant de venir au monde ? — Oh ! pauvre enfant , tu effleures là avec tes jolis petits doigts le grand secret que les hommes regardent à la loupe depuis six mille ans . — Alors , tu n’ en sais rien ? répondit PROPN d’ un air triste . — Hélas ! non ; mais pourquoi me fais - tu cette question , PROPN ? — Attends , je vais te le dire : c’ est qu’ en lisant la description du pays qu’ habitaient PROPN et PROPN , de ces grands bois , de ces cascades fraîches , de ces eaux limpides , de ce ciel azuré , il me semblait que , dans ma première vie , dont je ne me souviens que depuis que j’ ai lu PROPN et PROPN , il me semblait que j’ avais habité un pays pareil au leur , avec des arbres à larges feuilles , avec des fruits gros comme ma tête , avec des forêts immenses , avec un soleil d’ or , avec une mer couleur du ciel . Tiens , cependant , par exemple , la mer , je ne l’ ai jamais vue ; eh bien , quand je ferme les yeux , il me semble que je suis suspendue à un hamac comme celui de PROPN , et qu’ une femme , noire comme PROPN , me berce en me chantant une chanson … Oh ! mon Dieu ! mon Dieu ! il me semble qu’ il ne s’ en faut de rien que je me rappelle les paroles de cette chanson . Attends ! attends ! … Et PROPN ferma les yeux , faisant un effort pour fouiller au plus profond de sa mémoire . Mais PROPN lui serra la main en souriant . — Ne te fatigue pas , petite sœur , dit -il ; ce serait inutile , et , comme tu le disais , c’ est un rêve : tu ne saurais te souvenir , enfant , d’ une chose que tu n’ as ni vue ni entendue . — Il est possible que ce soit un rêve , dit tristement PROPN ; mais , en tout cas , ami , j’ ai vu en rêve un bien beau pays . Et elle tomba dans une douce et profonde rêverie . PROPN la laissait rêver ; car , à travers l’ obscurité , il voyait rayonner son sourire au-dessus de sa tête . Mais , comme cette rêverie durait cependant trop longtemps , à son avis : — Ainsi , PROPN PROPN t’ avait effrayée , pauvre enfant ? dit -il . — Oui , murmura PROPN en hochant la tête de haut en bas , sans néanmoins être entièrement à ce que lui disait PROPN . Celui - ci lisait dans la pensée de l’ enfant comme dans un livre . Elle songeait au beau pays des tropiques . — PROPN PROPN est une sotte , reprit PROPN , une sotte que je tancerai moi - même . — Vous ? demanda PROPN avec étonnement . — Ou que je ferai tancer par PROPN , reprit le jeune homme avec un peu d’ embarras ; car il a son franc parler chez vous , n’ est -ce pas , PROPN ? La question acheva de tirer complètement l’ enfant de sa rêverie . — Oh ! plus que son franc parler , ami , dit -elle ; autorité entière et absolue ; tout ce qui est chez nous est à lui . — Tout ? — Oui , tout , les choses et les gens . — Vous ne vous comptez ni parmi les choses ni parmi les gens , j’ espère , PROPN ? demanda PROPN . — Pardonnez -moi , mon ami , répondit l’ enfant . — Comment ! dit PROPN en riant , tu appartiens à PROPN , PROPN PROPN PROPN PROPN ? — Sans doute . — À quel titre ? — N’ appartient -on pas aux gens qu’ on aime ? — Vous aimez PROPN ? — Plus que tout le monde . — Vous ! … s’ écria PROPN avec une sorte d’ étonnement qui s’ exprima par un soupir . Et , en effet , ce mot aimer , dans la bouche de la jeune fille et s’ adressant à un autre que lui , serrait douloureusement le cœur de PROPN . — Ainsi , vous aimez PROPN plus que tout au monde ? insista -t -il , voyant que PROPN ne lui répondait pas . — Plus que tout au monde ! répéta l’ enfant . — Rose ! dit tristement PROPN . — Eh bien , qu’ as - tu donc , ami ? — Tu demandes ce que j’ ai , PROPN ? … s’ écria le jeune homme près d’ éclater en sanglots . — Sans doute . — Tu ne comprends donc pas ? — Non , en vérité . — Ne me disiez -vous pas , PROPN , que vous aimiez PROPN plus que tout au monde ? — Oui , je le disais ; oui , je le répète ; en quoi cela peut -il vous causer du chagrin ? — L’ aimer plus que tout au monde , n’ est -ce pas m’ aimer moins que lui , PROPN ? — Vous ! moins que lui ! … toi ! Que dis - tu donc là , PROPN PROPN ? … Mais j’ aime PROPN comme un frère , comme un père … tandis que toi … — Tandis que moi , PROPN ? … continua le jeune homme tout frissonnant de plaisir . — Tandis que vous , ami , je vous aime … comme … — Comme ? … Voyons , dis , PROPN ; comment m’ aimes - tu ? — Comme … — Achève ! — Comme PROPN aimait PROPN . PROPN jeta un cri de joie . — Oh ! chère enfant ! encore ! encore ! Dis -moi la différence qu’ il y a entre l’ amour que tu as pour moi et tous les autres amours ! dis -moi ce que tu ferais pour PROPN ! dis -moi ce que tu ferais pour moi ! — Eh bien , écoutez , PROPN : par exemple , si PROPN PROPN mourait , oh ! je serais bien triste ! je serais bien malheureuse ! je ne m’ en consolerais jamais ! … tandis que , si vous mouriez , vous … tandis que , si tu mourais , toi , reprit la jeune fille avec passion , tandis que , si tu mourais , toi , je mourrais ! — Rose ! Rose ! chère Rose ! s’ écria PROPN . Et , se haussant sur la pointe des pieds , et , attirant à lui les mains de la jeune fille , il parvint à mettre ses lèvres de niveau avec ses mains et les baisa amoureusement . À partir de ce moment , ce fut entre les deux jeunes gens un échange , non plus de paroles , non de mots , non de sons , mais de sensations pures et d’ émotions délicieuses . Leurs cœurs battaient d’ un même battement , et leur souffle se confondait en un seul souffle . Quiconque eût passé par là en ce moment et les eût aperçus ainsi entrelacés au milieu de cette nuit sereine , eût emporté comme une parcelle de leur amour , comme une fleur de ce bouquet , comme une note de ce concert . Rien , en effet , n’ était plus adorable que cette fusion de deux âmes chastes , de deux cœurs vierges ne demandant à l’ amour que ses mystérieux ravissements , que ses poétiques extases ; c’ était tout ce que la plume et le pinceau ont créé de plus doux depuis PROPN amoureuse dans le paradis en fleurs , jusqu’ à la Mignon de PROPN , cette autre Ève née à l’ extrémité de la civilisation , non plus dans l’ Éden du mont Ararat , mais dans les jardins de PROPN PROPN . Quelle heure était -il ? Ils eussent été bien embarrassés de le dire , les pauvres enfants ! Les minutes passaient si doucement , que ni l’ un ni l’ autre ne sortait de son extase au bruit de leurs ailes . Le Val-de-Grâce , Saint-Jacques-du-Haut-Pas et Saint-Étienne-du-Mont avaient beau sonner les quarts d’ heure , les demi-heures , les heures , de toute la force de leur marteau , ils ne les entendaient pas , et le tonnerre fût tombé dans la rue qu’ ils n’ y eussent pas fait pas plus d’ attention , certainement , qu’ au but inconnu où courent les étoiles en tombant du ciel . Et , cependant , un bruit bien autrement faible que la voix des horloges fit tressaillir tout à coup PROPN PROPN PROPN avait toussé . Une sueur froide passa sur le front du jeune homme . Oh ! cette toux , il la reconnaissait : c’ était celle qu’ il avait combattue et vaincue avec tant de peine . — Pardon ! pardon , Rose , PROPN PROPN PROPN ! s’ écria -t -il . — Pardon de quoi , et qu’ ai -je à vous pardonner , mon ami ? dit -elle . — Tu as froid , mon enfant chéri . — Moi , froid ? dit l’ enfant étonnée et charmée en même temps de cette attention de PROPN . La pauvre petite – excepté par PROPN – n’ était point accoutumée à s’ entendre parler avec une pareille sollicitude . — Oui , PROPN , tu as eu froid , tu as toussé ; il est tard , il faut rentrer , PROPN . — Rentrer ! dit -elle . Et elle prononça ce mot du ton dont elle eût dit : « Mais je croyais que nous allions rester ici toujours . » Aussi fût -ce à la pensée et non au mot que répondit PROPN . — Non , PROPN PROPN PROPN , dit -il , non , impossible , il faut rentrer ; ce n’ est point l’ ami qui te dit cela , c’ est le médecin qui te l’ ordonne . — Adieu donc , méchant médecin ! dit -elle avec tristesse . Puis elle reprit avec son plus doux sourire : — Au revoir , mon cher ami ! Et , en disant ces mots , elle se penchait tellement vers PROPN , que les boucles de ses cheveux effleurèrent le front du jeune homme . — Oh ! Rose ! … Rose ! murmura -t -il avec amour . Puis , se dressant sur la pointe des pieds , il leva la tête , se grandit de toute sa taille , si bien que ses lèvres se trouvèrent juste à la hauteur du front blanc de la jeune fille . — Je t’ aime , PROPN ! dit -il tout bas en baisant ce front si pur . — Je t’ aime ! répéta la jeune fille en recevant le baiser de son amant . Puis elle disparut , rentrant dans sa cage , si vite , qu’ on eût dit qu’ elle s’ était envolée . PROPN sauta à terre ; mais il n’ avait pas eu le temps de faire trois pas à reculons – car , en s’ éloignant , il ne voulait pas un instant perdre de vue cette fenêtre – , que cette fenêtre se rouvrit . — PROPN ! dit la douce voix de PROPN . Le jeune homme bondit en avant et se retrouva sur sa borne , sans savoir comment il y était remonté . — Rose , dit -il , souffrirais - tu ? — Non , répondit la jeune fille en secouant la tête , mais je me souviens . — Comment ! tu te souviens ! et de quoi ? — D’ avoir vécu avant de vivre , dit -elle . — Mon Dieu ! dit PROPN , es - tu folle ? — Non ; tu sais , dans le beau pays que je revoyais tout à l’ heure , quand j’ étais enfant , couchée comme PROPN dans un hamac , et que ma nourrice , une bonne négresse , nommée … attends ! oh ! elle s’ appelait d’ un drôle de nom ! … elle s’ appelait … PROPN ! … et qu’ une bonne négresse nommée PROPN , chantait , tout en me berçant dans mon hamac . Et PROPN chanta sur un air de berceuse , et en cherchant les premiers mots , comme s’ ils ne se présentaient que difficilement et l’ un après l’ autre à son souvenir : Dodo ! dodo ! piti monde à maman ! Maman chanter , maman cuit vous nanan ... PROPN regarda PROPN avec un profond étonnement . — Attends , attends , continua celle-ci . Vaisseau qui là , si vou le sage , Porté poisson , porté bagage ... — Rose ! Rose ! s’ écria PROPN , sais - tu bien que tu m’ effraies ? — Attends , attends , dit PROPN ; l’ enfant répond : Mauvais , bon Dié , pas vlé droumi ; Moi vlé danser ... La maman Ça vous dit là , zami ! Paix bouche à vou , n’ a pas fait moi la peine , Fermé grands yeux , tendé coulé fontaine ... — Rose ! Rose ! — Attends donc , ce n’ est pas fini ; l’ enfant reprend : Mauvais , bon Dié ! pas vlé droumi ; Moi vlé danser ... La maman Ça vous di là , zami ! Fourré dans fleurs pitis bras , piti tête ; Me voir là - bas cherché vous méchant bête ; Ça chien la mer qui rodé dans bois nous . Si vous pas bon , li caler nanan vous . Ti monde à moi ! n’ a pas fait moi la peine ; Fermé grands yeux , tendé coulé fontaine . L’ enfant Maman , bon Dié ! moi vlé droumi , Pas vlé danser . La maman Cuis nanan pour zami ; Li va grandi ! li va droumi , droumi ! ... PROPN PROPN s’ arrêta . PROPN était demeuré haletant . — C’ est tout , dit l’ enfant . — Rentre , rentre , dit PROPN , nous reparlerons de tout cela plus tard . Oui , oui , tu te souviens , chère Rose à moi ; oui , comme tu le disais tout à l’ heure , nous avons déjà vécu avant de voir le jour ." ]
[ "— Tu l’ as dit . Pâquerette , reprit Chante - Lilas , toujours accrochée à la redingote de Camille . — Moi , princesse ! s’ écria le jeune homme , moi , te quitter , t’ abandonner , te fuir , quand tu m’ envoies chercher de la galette ? Avec quel monde as - tu donc vécu depuis que je t’ ai quittée , ma mignonne ? Comment ! Six semaines d’ absence t’ ont changée à ce point , que tu suspectes la loyauté de Camille de Rozan , gentilhomme américain ? Mais je ne te reconnais plus , princesse de mon âme I mais on m’ a changé ma Chante - Lilas ! Et Camille leva désespérément ses bras au ciel . — Eh bien , va devant ! dit -elle en lâchant les basques de la redingote ; — ou plutôt , non , ajouta -t -elle en se ravisant ; il serait cruel de te faire faire deux fois le voyage , par ce soleil étouffant ! Allons à la découverte ensemble … Seulement , tâche de retrouver mon âne : je ne sais ce qu’ il est devenu pendant notre reconnaissance , et j’ en ai répondu sur la tête du patron . L’ âne avait disparu , en effet ; on eut beau regarder au loin dans les deux grandes plaines qui bordaient la route , pas le moindre soupçon d’ âne . Cependant , après quelques recherches , on retrouva le fugitif . Il s’ était couché dans un fossé , et dormait à l’ ombre . On l’ invita poliment à remonter sur la route , et l’ animal , avec une douceur et une obéissance dont peu d’ hommes eussent été capables , fit droit à la requête , et , le plus gracieusement du monde , tendit son dos à la jeune fille . La comtesse du Battoir céda alors son âne à Camille , et monta derrière Chante - Lilas . Puis la joyeuse caravane se mit en route , à la recherche d’ une ferme , d’ un cabaret ou d’ un moulin . L’ artificier Camille n’ avait pas tiré d’ un coup tous ses pétards , comme disait la princesse de Vanves ; aussi Dieu sait de quels gais propos la route fut émaillée ! Écuyères et cavalier se les renvoyaient en notes sonores ; la plaine retentissait de leurs éclats de rire ; les oiseaux , les prenant pour de joyeux confrères , ne s’ effarouchaient point en les voyant passer ; ce trio voyageur ressemblait aux trois premiers dimanches du mois de mai : c’ étaient trois printemps incarnés . Camille avait déjà demandé comment il se faisait qu’ un mardi les deux jeunes filles fussent sur la grande route de Paris à fouetter des ânes , au lieu d’ être dans leur lingerie à plisser des chemises ; Chante Lilas passa la parole à Pâquerette ; et celle-ci apprit au jeune homme que le susdit mardi étant le jour de fête de leur patronne , elles avaient pris leur volée dans l’ intention bien arrêtée de chercher l’ Américain . Chante - Lilas , elle aussi , comme on le voit , revenait à ses moutons . — Mais , observa Camille , comment se fait -il que je te trouve sur cette route - ci , plutôt que sur une autre ? — D’ abord , répondit la princesse , je t’ ai cherché sur toutes les routes ; mais je te cherchais plus particulièrement sur celle-ci parce que l’ on m’ avait dit que tu habitais le Bas-Meudon . — Bon ! Qui t’ a dit cela ? demanda Camille . — Tous les voisins , donc ! — Eh bien , princesse , dit Camille avec un aplomb parfait , les voisins t’ ont tout simplement fait poser , ma fille . — Pas possible ! — Aussi vrai que j’ aperçois , là - bas , le moulin de nos rêves . Et , en effet , on apercevait un moulin à l’ horizon . — Mais , enfin , si les voisins m’ ont fait poser , ce qui est encore possible , pourquoi te rencontré -je sur la route de Meudon ? demanda Chante - Lilas avec cette bonne foi et cette crédulité qui étaient l’ apanage des grisettes , du temps où il y avait encore des grisettes et de la crédulité . Camille haussa les épaules en homme qui veut dire : « Comment , tu ne devines pas ? » Chante - Lilas comprit le geste . — Non , je ne devine pas , dit -elle . — Rien n’ est plus naturel , cependant , répondit Camille . Mon notaire demeure à Meudon , et je viens de toucher de l’ argent chez mon notaire … Tiens , écoute . Et , frappant sur les poches de son gilet , il fit retentir le son des pièces d’ or qu’ il avait emportées pour ses achats . — C’ est vrai , dit la princesse , convaincue par le bruit des pièces justificatives ; je te crois . Mais , maintenant , il faudra que tu me fasses voir ton notaire … Voilà plusieurs fois que j’ entends parler de notaires ; je désire en voir un ; on dit que c’ est très curieux . — Et l’ on a raison de le dire , princesse : c’ est même encore beaucoup plus curieux qu’ on ne le dit . On arrivait au moulin ; ce qui changea la direction des idées de la jeune fille . Hélas ! Encore une chose qui s’ en va , le moulin ! Avant dix ans , nos petits-enfants éclateront de rire , quand nous leur dirons que les moulins servaient jadis à moudre le blé ; et , si le musée des Antiques ne songe pas à en conserver un , nos descendants refuseront de croire à la réalité de la ressemblance , quand nous leur en ferons la description . C’ était , cependant , autrefois un but de promenade ravissant pour les jeunes gens et les jeunes filles , qu’ une visite au moulin ; il y en avait de toutes les grandeurs , de toutes les couleurs , de tous les noms . Il y avait le moulin Joli , le moulin Blanc , le moulin Rouge , le moulin Noir , le moulin de la Galette , le moulin de Beurre ; il y avait enfin des moulins pour tous les goûts . On s’ asseyait devant une table , et l’ on regardait tourner les ailes du moulin , pendant trois ou quatre heures , en mangeant de la galette , et en buvant du lait ; c’ était un plaisir pur , innocent et qui n’ était subversif d’ aucun ordre social ! Les trois jeunes gens , après avoir attaché leurs deux ânes , entrèrent dans le moulin , où on leur servit de la galette chaude et du lait froid . Camille et Pâquerette y allaient bon jeu , bon argent , quand , à la troisième bouche qu’ elle mordit dans la galette , la princesse de Vanves s’ écria : — Oh ! Que nous sommes donc bêtes de manger de la galette ! — Eh ! Princesse , interrompit Camille , parle donc au singulier , s’ il te plait . — Oh I que tu es donc bête de manger de la galette — Bravo ! dit Camille ; voilà qui est mieux qu’ un pétard : c’ est une fusée ! … Et pourquoi suis -je bête , voyons , de manger de la galette ? — Mais , dit Chante - Lilas , parce qu’ il est trois heures de l’ après-midi , que nous ne pourrons pas diner , et que j’ espère bien que M. Camille de Rozan , gentilhomme américain , va nous offrir un diner magnifique . — Tout ce que tu voudras , princesse ! Ma foi , c’ est bien le moins , n’ est -ce pas , quand on s’ est cherché aussi longtemps que nous , qu’ on ne se quitte pas sans avoir bu à la santé l’ un de l’ autre ? — Eh bien , commande le dîner . — Oh ! Pas ici , mes bergères . — Où donc , alors ? — A Paris … Peste ! on dîne trop mal à la campagne ! La campagne est bonne pour donner de l’ appétit , mais non pour le satisfaire . — Va pour Paris … Et où dinerons -nous , à Paris ! — Chez Véfour , pardieu I — Chez Véfour ? … Oh ! quel bonheur ! s’ écria la jeune fille en faisant claquer ses doigts , en signe de contentement : il y a si longtemps que j’ entends parler de Véfour : on dit que c’ est très - curieux . — Comme les notaires ! dit Camille ; il y en a même qui prétendent que c’ est encore plus curieux , attendu que , chez Véfour , on mange , et que , chez les notaires , on est mangé . — OhIPâquerette , s’ écria la princesse , tu ne le plaindras pas , j’ espère ! En voilà un pétard : chez Véfour ! … — Allons , allons , dit Camille , en route , mes enfants ! J’ ai quelques emplettes à faire avant de dîner , je vous en préviens . — Pour des dames ? dit Chante - Lilas en pinçant jusqu’ au sang le bras de Camille . — Ah bien , oui , des dames ! dit Camille . Est -ce que je connais des dames , moi ? — Et pour qui me prenez -vous donc , mon gentilhomme ? dit Chante - Lilas se redressant avec une fierté comique . — Toi , princesse , répondit le jeune homme en l’ embrassant , je te prends pour la plus fraîche , la plus spirituelle et la plus jolie blanchisseuse qui ait jamais fleuri au bord d’ une rivière , sous la calotte des cieux ! Un fiacre vide passait devant le moulin ; on lui fit signe de s’ arrêter . Puis on détacha les ânes , et , moyennant une pièce de trente sous , — il y avait encore des pièces de trente sous à cette époque -là , — le garçon du moulin se chargea de les reconduire à Vanves . Après quoi , on monta dans le fiacre , et l’ on donna l’ adresse de Véfour . Des emplettes , il n’ en fut pas question , pour ce jour -là du moins . Au dessert , les fraises mangées , le café pris l’ anisette dégustée , Pâquerette Colombier , dont le rôle devenait de plus en plus difficile entre les deux jeunes gens , se souvint tout à coup que son oncle , vieux militaire , l’ attendait pour panser ses blessures . Et , faisant ce que nous allons faire , elle laissa le gentilhomme américain en tête à tête avec Chante - Lilas . Seulement , nous qui n’ avons pas d’ oncle blessé , nous retournerons vers le Bas-Meudon , où Carmélite , à la fenêtre depuis sept heures du soir , se désespère en entendant sonner minuit . Chapitre 49 Derniers jours d’ automne UNE DES FENÊTRES DE l’ appartement donnait sur la rue du Petit-Hameau . C’ est à cette fenêtre que Carmélite était accoudée sur la barre d’ appui , la tête plongée entre ses mains . De là , elle écoutait les rares bruits lointains qui , au milieu de l’ obscurité , venaient de la plaine , et vingt fois les branches mortes qui craquaient , et les feuilles jaunies qui commençaient a tomber , l’ avaient fait tressaillir comme si elle fût entendu le pas de Camille . Mais , à cette heure , Camille ne pouvait pas revenir à pied de Paris ; c’ était , non point au bruit des pas qu’ il fallait s’ attendre , mais à un bruit de voiture . Le silence de la nuit , le murmure mélancolique du vent dans les arbres , les feuilles qui tombaient en frissonnant , la chouette qui faisait entendre son cri lugubre et intermittent sur le peuplier voisin , tout contribuait à augmenter la tristesse de Carmélite , et un moment vint où cette tristesse fut si profonde que deux ruisseaux de larmes silencieuses s’ échappèrent de ses yeux , et coulèrentà travers ses doigts . Quelle différence de cette nuit d’ automne , sonore et pleine de frissons , passée seule à attendre Camille à une fenêtre , avec cette nuit de printemps passée près de Colomban , sous les lilas , au milieu des roses ! Et , cependant , cinq mois à peine s’ étaient écoulés entre ces deux nuits . Il est vrai qu’ il ne faut pas cinq mois pour changer toute une existence : il faut une minute ! Il faut un instant ! Il faut une nuit d’ orage ! Enfin , vers une heure du matin , le bruit d’ une voiture retentit sur le pavé de la route . Carmélite s’ essuya les yeux , tendit l’ oreille , et vit , avec un sentiment de bonheur mêlé d’ une tristesse dont elle ne se rendait pas compte , une voiture prendre le revers de la route , et s’ arrêter à la porte . D’ où venait donc l’ ébranlement de cette fibre du cœur qui donnait une douleur aiguë , tandis que toutes les autres tressaillaient de joie ? Elle voulut descendre l’ escalier , pour être plus tôt dans les bras de Camille . Elle ne put aller que jusqu’ au premier degré . Camille , au contraire , après être descendu de voiture , après avoir refermé la porte , bondissait au - devant d’ elle . Il trouva Carmélite à moitié chemin , chancelante , appuyée contre la muraille . Elle qui avait tant désiré son retour , d’ où lui venait cette douloureuse faiblesse à son arrivée ? Quant à Camille , il serra Carmélite entre ses bras avec l’ effusion qui lui était naturelle . Il avait le matin , serré de la même manière la princesse de Vanves , — un peu moins fortement peut-être , un peu moins ardemment même : il avait à se faire pardonner son absence par Carmélite . Celle - ci rendit à Camille ses caresses plus froidement qu’ elle ne l’ eût cru elle même . Il y a dans la femme un instinct qui la trompe rarement : l’ homme emporte toujours avec lui assez de la femme qu’ il quitte pour inspirer un soupçon à la femme vers laquelle il revient . Ce soupçon , Carmélite ignorait complètement sa nature ; il lui semblait qu’ outre l’ absence , elle avait quelque chose à reprocher à Camille . Quoi ? — Elle n’ en savait rien , mais cette fibre douloureuse qui avait vibré au fond de son cœur , c’ était celle du reproche . — Pardonne -moi , ma chérie , de t’ avoir inquiétée ! dit Camille ; mais je te jure qu’ un plus prompt retour n’ a pas dépendu de moi . — Ne jure pas , dit Carmélite ; est -ce que je doute de toi ? Pourquoi me tromperais - tu ? Si tu m’ aimes toujours , c’ est une volonté plus forte que la tienne qui t’ a arrêtée ; si tu ne m’ aimes plus , que m’ importe la cause ? — Oh ! Carmélite ! s’ écria Camille , moi , ne plus t’ aimer ! Mais comment ferais -je ? Comment me serait -il possible de vivre sans toi ? Carmélite sourit tristement . Il lui semblait qu’ une ombre voilée , l’ ombre d’ une femme , passait entre elle et son amant . Camille la ramena dans sa chambre , et alla fermer la fenêtre ; — les nuits commençaient à être froides . Carmélite était restée cinq heures à cette fenêtre , et ne s’ était point aperçue de la fraicheur de l’ air . Elle fut près de dire : « Laisse la fenêtre ouverte , Camille ; j’ étouffe ! » Elle ouvrit la bouche ; mais ses lèvres n’ articulèrent aucun son : elle tomba assise sur le canapé . Camille se retourna , la vit et vint se jeter à ses pieds . — Voici , lui dit -il , ce qui est arrivé . Imagine - toi que j’ ai rencontré à Paris deux créoles de la Martinique , deux amis à moi que je n’ avais pas vus depuis … je ne saurais te dire depuis combien de temps . Nous avons parlé de notre beau pays que tu habiteras un jour , nous avons parlé de toi … — De moi ? fit Camille en tressaillant . — Sans doute , de toi … Est -ce que je puis parler d’ autre chose ? … Je ne t’ ai pas nommée , bien entendu . Ils sont venus avec moi faire nos emplettes , — une partie du moins — mais à la condition que je dînerais avec eux , et que j’ irais avec eux à l’ Opéra … c’ était la représentation de retraite de Laïs . — Tu sais que , toi et la musique , vous êtes mes seules passions ? Que n’ étais - tu là ? comme tu te serais amusée ! Carmélite fit un indéfinissable mouvement de sourcils . — Je n’ y étais pas , dit -elle . — Non , tu étais ici , ma pauvre chérie ; mais c’ est ta faute : tu n’ as pas voulu venir . — Oui , c’ est ma faute , dit Carmélite ; aussi , je ne me plains pas . — Et , au lieu de t’ amuser , cependant , tu t’ es ennuyée ! — Non , je t’ ai attendu . — Tiens , tu es un ange ! Et Camille embrassa de nouveau Carmélite avec passion . Elle le laissa faire presque distraite . Par - dessus la tête du jeune homme , à genoux devant elle , elle regardait son rosier , qui n’ avait plus que quelques fleurs pâles et maladives , — les dernières . L’ une d’ elles commençait même à s’ effeuiller , et Carmélite regardait tomber ses pétales les uns après les autres avec une profonde mélancolie . Camille sentait bien que ses paroles glissaient sans pénétrer ; il insistait , il revenait sur des détails qui devaient donner de la vraisemblance à sa narration . Carmélite avait fini par perdre le sens des paroles , et n’ en entendait plus que le bruit . Elle souriait , elle faisait des signes de tête , elle répondait par monosyllabes ; mais elle ne savait pas plus ce qu’ elle répondait que ce que Camille lui disait . Deux heures sonnèrent", "En fait , j’ ai piqué le sac du type qui était devant moi . — Ingénieux , dit Lucien . On peut vraiment compter sur toi . — La prochaine fois , essaie d’ avoir des désirs plus simples , dit Marc . — C’ est tout mon problème , dit Lucien . — Tu n’ aurais pas fait un soldat très efficace , laisse -moi te le dire . Lucien s’ arrêta net dans son travail culinaire et regarda sa montre . — Merde , cria -t -il , la Grande Guerre ! — Quoi encore , la Grande Guerre ? Tu es mobilisé ? Lucien lâcha son couteau de cuisine , le visage consterné . — On est le 8 juin , dit -il . Catastrophe , mes langoustines … J’ ai un dîner commémoratif ce soir , je ne peux pas le rater . — Commémoratif ? Tu t’ embrouilles mon vieux . À cette époque de l’ année , c’ est pour la Seconde Guerre , et c’ est le 8 mai , pas le 8 juin . Tu mélanges tout . — Non , dit Lucien . Bien sûr que le dîner 39 - 45 devait avoir lieu le 8 mai . Mais ils voulaient y convier deux vétérans chenus de la Première Guerre , pour l’ ampleur historique , tu comprends . Mais un des vieux était malade . Alors ils ont repoussé d’ un mois la soirée pour les vétérans . Ce qui fait que c’ est ce soir . Je ne peux pas rater ça , c’ est trop important : un des deux vieux a quatre-vingt-quinze ans et il a toute sa tête . Il faut que je le rencontre . C’ est un choix : l’ Histoire ou les langoustines . — Va pour l’ Histoire , dit Marc . — Evidemment , dit Lucien . Je file m’ habiller . Il jeta un regard plein de regret sincère sur la table et grimpa jusqu’ à son troisième étage . Il partit en courant et en demandant à Marc de lui laisser des langoustines pour cette nuit , quand il rentrerait . — Tu seras trop soûl pour ce genre de délicatesse , dit Marc . Mais Lucien ne l’ entendait plus , il courait vers 14 - 18 . 26 Mathias fut alerté dans son sommeil par des appels répétés . Mathias était un dormeur aux aguets . Il sortit de son lit et vit par la fenêtre Lucien qui gesticulait dans la rue en criant leurs noms . Il s’ était juché sur une grande poubelle , on ne sait pourquoi au juste , peut-être pour mieux se faire entendre , et son équilibre paraissait précaire . Mathias prit un manche de balai sans balai et frappa deux coups au plafond pour réveiller Marc . Il n’ entendit rien bouger et décida de se passer de son aide . Il rejoignit Lucien dans la rue au moment où celui-ci tombait de son perchoir . — Tu es complètement ivre , dit Mathias . Ça ne va pas de gueuler comme ça dans la rue à deux heures du matin ? — J’ ai perdu mes clefs , mon vieux , bafouilla Lucien . Je les ai sorties de ma poche pour ouvrir la grille et elles m’ ont glissé des mains . Toutes seules , je te jure , toutes seules . Elles sont tombées quand je passais devant le front Est . Impossible de les retrouver dans tout ce noir . — C’ est toi qui es noir . Rentre , on cherchera tes clefs demain . — Non , je veux mes clefs ! cria Lucien , avec l’ insistance infantile et butée de ceux qui en ont un sérieux coup dans l’ aile . Il échappa à l’ étreinte de Mathias et se mit à fureter , la tête baissée , la démarche incertaine , devant la grille de Juliette . Mathias aperçut Marc , qui , réveillé à son tour , s’ approchait d’ eux . — Ce n’ est pas trop tôt , dit Mathias . — Je ne suis pas chasseur , moi , dit Marc . Je ne sursaute pas au premier cri d’ une bête sauvage . En attendant , grouillez -vous . Lucien va ameuter tous les voisins , réveiller Cyrille , et toi , Mathias , tu es complètement à poil . Je ne te le reproche pas , je te le signale , c’ est tout . — Et alors ? dit Mathias . Cet imbécile n’ avait qu’ à pas me faire lever en pleine nuit . — En attendant , tu vas te geler . Au contraire , Mathias ressentait une douce tiédeur dans le creux du dos . Il ne comprenait pas comment Marc pouvait être aussi frileux . — Ça va , dit Mathias . Je sens du chaud . — Eh bien pas moi , dit Marc . Allez , chacun un bras , on le rentre . — Non ! cria Lucien , je veux mes clefs ! Mathias soupira et arpenta les quelques mètres de la rue pavée . Si ça se trouve , cet imbécile les avait perdues bien plus tôt . Non , il les aperçut entre deux pavés . Les clefs de Lucien étaient faciles à repérer : il y avait suspendu un petit soldat de plomb d’ époque , avec sa culotte rouge , sa capote bleue aux pans relevés . Bien qu’ insensible à ce genre de futilité , Mathias comprenait que Lucien y tienne . — Je les ai , dit Mathias . On peut le rentrer dans sa cagna . — Je ne veux pas qu’ on me tienne , dit Lucien . — Avance , dit Marc sans le lâcher . Dire qu’ il faut encore qu’ on le tire jusqu’ à son troisième étage . C’ est sans fin . — « La connerie militaire et l’ immensité des flots sont les deux seules choses qui puissent donner une idée de l’ infini » , dit Mathias . Lucien stoppa net au milieu du jardin . — D’ où tiens - tu ça ? demanda -t -il . — D’ un journal de tranchées qui s’ intitule « On progresse » . C’ est dans un de tes bouquins . — Je ne savais pas que tu me lisais , dit Lucien . — Il est prudent de savoir avec qui on vit , dit Mathias . En attendant , progressons , je commence à sentir le froid maintenant . Ah , tout de même , dit Marc . 27 Marc s’ étonna , au petit déjeuner du lendemain matin , de voir Lucien s’ enfiler avec son café l’ assiette de langoustines qu’ ils lui avaient gardées . — Tu as l’ air d’ avoir bien récupéré , dit Marc . — Pas tant que ça , dit Lucien avec une grimace . J’ ai le casque . — Parfait , dit Mathias , ça doit te faire plaisir . — Amusant , dit Lucien . Excellentes tes langoustines , Marc . Tu as très bien choisi ta poissonnerie . La prochaine fois , pique un saumon . — Ton vétéran ? Ça a donné quoi ? demanda Mathias . — Magnifique . J’ ai rendez-vous mercredi en huit . Après , je ne me souviens plus trop . — Vos gueules , dit Marc , je prends les informations . — Tu attends des nouvelles ? — La tempête en Bretagne , j’ aimerais savoir où elle en est . Marc vénérait les tempêtes , ce qui était assez banal et il le savait . Ça lui faisait déjà un point commun avec Alexandra . C’ est toujours mieux que rien . Elle avait dit qu’ elle aimait le vent . Il posa sur la table un petit poste de radio , constellé de taches de peinture blanche . Quand on sera grands , on achètera une télé , dit Lucien . — Taisez -vous , bon Dieu ! Marc monta le son . Lucien faisait un boucan infernal en décortiquant ses langoustines . Les nouvelles du matin s’ enchaînaient . Le Premier ministre attendait le chancelier allemand . La Bourse merdait un peu . La tempête s’ apaisait en Bretagne , s’ acheminait vers Paris en perdant de sa violence en cours de route . Regrettable , pensa Marc . Une dépêche de l’ A.F.P. signalait la découverte ce matin d’ un homme assassiné dans le parking de son hôtel , à Paris . Il s’ agissait de Christophe Dompierre , âgé de quarante - trois ans , célibataire sans enfants , et délégué aux affaires européennes . Crime politique ? Aucun autre élément d’ information n’ avait été communiqué à la presse . Marc posa brutalement sa main sur le poste et regarda Mathias , effaré . — Que se passe -t -il ? demanda Lucien . — Mais c’ est le type qui était là hier ! cria Marc . Crime politique , mon cul ! — Tu ne m’ avais pas dit son nom , dit Lucien . Marc monta quatre à quatre l’ escalier jusqu’ aux combles . Vandoosler , éveillé depuis longtemps , lisait , debout devant sa table . — Ils ont tué Dompierre ! dit Marc , le souffle court . Vandoosler se retourna lentement . — Assieds - toi , dit -il , raconte . — Je ne sais rien de plus ! cria Marc , toujours essoufflé . C’ était à la radio . On l’ a tué , c’ est tout ! Tué ! Il a été retrouvé ce matin dans le parking de son hôtel . — Quel con ! dit Vandoosler en frappant du poing sur sa table . Voilà ce que c’ est que de vouloir jouer sa partie tout seul ! Le pauvre type s’ est fait prendre de vitesse . Quel con ! Marc secouait la tête , désolé . Il sentait ses mains trembler . — Il était peut-être con , dit -il , mais il avait percé quelque chose d’ important , c’ est certain à présent . Il faut que tu préviennes ton Leguennec , parce qu’ ils ne feront jamais le rapport avec la mort de Sophia Siméonidis si on ne les renseigne pas . Ils chercheront côté Genève ou je ne sais quoi . — Oui , faut prévenir Leguennec . Et on va tous se faire gueuler dessus parce qu’ on ne l’ a pas averti hier . Il dira que ça aurait évité un meurtre et il aura peut-être raison . Marc gémit . — Mais on avait promis à Dompierre de la boucler . Qu’ est -ce que tu voulais qu’ on fasse d’ autre ? — Je sais , je sais , dit Vandoosler . Alors mettons -nous d’ accord : d’ une part , ce n’ est pas toi qui as couru après Dompierre , c’ est lui qui est venu frapper chez toi , en tant que voisin de Relivaux . D’ autre part , seuls toi , Saint Matthieu et Saint Luc étiez au courant de sa visite . Moi je ne savais rien , vous ne m’ aviez rien dit . C’ est seulement ce matin que vous m’ avez sorti toute l’ histoire . Ça colle ? — C’ est ça ! cria Marc . Défile - toi ! Et on sera les seuls dans le bain à se faire étriller par Leguennec et toi tu seras bien à l’ abri ! — Mais , jeune Vandoosler , tu ne comprends donc rien ? Je n’ en ai rien à faire d’ être à l’ abri ! Un sermon de Leguennec ne me fait ni chaud ni froid ! Ce qui compte , c’ est qu’ il continue à me faire à peu près confiance , tu saisis ? Pour avoir les informations , toutes les informations dont on a besoin ! Marc hocha la tête . Il saisissait . Il avait une boule dans la gorge . « Ni chaud , ni froid » . Cette phrase du parrain lui rappelait quelque chose . Ah oui , cette nuit , quand ils avaient ramené Lucien à la baraque . Mathias avait chaud , et lui , avec un pyjama et un pull , il avait froid . Incroyable , ce chasseur - cueilleur . Aucune importance . Sophia avait été tuée , et maintenant , Dompierre . À qui Dompierre avait -il laissé l’ adresse de son hôtel ? À tout le monde . À eux , à ceux de Dourdan , à plein d’ autres peut-être , sans compter qu’ il avait peut-être été suivi . Tout dire à Leguennec ? Mais Lucien ? Lucien qui était sorti ? — J’ y vais , dit Vandoosler . Je vais affranchir Leguennec et on se rendra sûrement sur place aussitôt . Je lui colle aux fesses et je rapporte tout ce qu’ on peut savoir dès qu’ on en a fini . Secoue - toi , Marc . C’ est vous qui avez fait tout ce boucan cette nuit ? Oui . Lucien avait perdu son petit soldat de plomb entre les pavés . 28 Leguennec conduisait à toute vitesse , furieux , Vandoosler à ses côtés , son alarme mise en marche pour pouvoir griller les feux et exprimer l’ étendue de son mécontentement . — Désolé , dit Vandoosler . Mon neveu n’ a pas saisi sur le coup l’ importance de la visite de Dompierre et il a négligé de m’ en parler . — Il est idiot ton neveu ou quoi ? Vandoosler se crispa . Il pouvait s’ engueuler avec Marc à perte d’ heures mais il ne tolérait pas que quiconque le critique . — Tu peux dire à ton gyrophare de la boucler ? dit -il . On ne s’ entend pas dans cette bagnole . Maintenant que Dompierre est mort , on n’ est plus à une minute près . Sans un mot , Leguennec coupa son alarme . — Marc n’ est pas un idiot , dit Vandoosler sèchement . Si tu enquêtais aussi bien que lui le fait sur le Moyen Âge , il y a longtemps que tu aurais quitté ton commissariat de quartier . Alors écoute bien . Marc avait l’ intention de te prévenir aujourd’hui . Hier , il avait des rendez-vous importants , il cherche du boulot . Tu as même de la chance qu’ il ait accepté de recevoir ce type louche et embrouillé et d’ écouter toutes ses salades , sinon l’ enquête se serait dirigée côté Genève et le maillon manquant t’ aurait échappé . Tu devrais plutôt lui être reconnaissant . D’ accord , Dompierre s’ est fait tuer . Mais il ne t’ aurait rien dit de plus hier et tu ne l’ aurais pas mis sous protection . Donc , ça ne change rien . Ralentis , on arrive . — Auprès de l’ inspecteur du 19 e , maugréa Leguennec , un peu calmé , je te fais passer pour un de mes collègues . Et tu me laisses faire . Entendu ? Leguennec montra sa carte pour franchir la barrière qui avait été installée devant l’ accès au parking de l’ hôtel , en fait une petite arrière-cour crasseuse réservée aux véhicules des clients . L’ inspecteur Vernant , du commissariat du secteur , avait été prévenu de l’ arrivée de Leguennec . Il n’ était pas fâché de lui repasser l’ affaire parce qu’ elle s’ annonçait singulièrement mal . Pas de femme , pas d’ héritage , pas de politique foireuse , rien en vue .", "Autour de la théière fumante , il faisait bon , dans la salle commune de l’ aéroscaphe . Au - dehors , le froid était glacial . Mme Ismérie avait dû porter au rouge les plaques calorigènes qui permettaient , grâce à l’ électricité , de donner à l’ atmosphère intérieure de la coque , une température aussi chaude que possible . Armandine n’ avait point oublié , lors du départ de l’ aéroscaphe , de prendre avec elle la plus belle de ses poupées , qu’ elle avait baptisée « Virginie » . Elle n’ eût voulu , pour rien au monde , assura -t -elle , se séparer de sa fille ; et tout en réparant un accroc qui s’ était malheureusement produit à la robe de Virginie , elle lui adressait mille discours sur le plaisir qu’ il y a de voyager dans les airs , de visiter des pays inconnus , pour pouvoir , au retour , émerveiller ses petites amies . Pendant ce temps , Ludovic se faisait expliquer , par Alban , ce que c’ était que cet extraordinaire appareil Orling qui avait causé , de si terrible façon , le trépas des aéronautes russes . – L’ invention du savant suédois , dit Alban , est basée sur la découverte qu’ ont faite , avant lui , deux savants américains : Hayes et Bell qui ont eu l’ idée de remplacer , dans les téléphones , le fil électrique par un rayon lumineux . C’ est ainsi qu’ ils sont arrivés à construire des téléphones sans fil . M. Orling , lui , a substitué aux rayons lumineux ordinaires des rayons invisibles à peu près de la même nature que les Rayons X … ou Rayons Rœntgen . C’ est à la manœuvre des torpilles qu’ il a fait la première application de sa découverte . Installé sur le rivage , ou à bord d’ un navire , l’ opérateur peut , à volonté , détruire une flotte ennemie , sans courir aucun risque , et avec une dépense pour ainsi dire insignifiante . – Cet appareil , qui tient tout entier dans cette petite boîte d’ acajou – et Alban la désignait à l’ enfant – je l’ avais emporté pour réaliser certaines expériences . J’ étais loin de supposer que la nécessité m’ obligerait à le transformer en engin de défense . – Et quelle est la nature de ces rayons ? – Elle est encore très mal connue . On sait s’ en servir ; mais on ignore ce que c’ est exactement . Ludovic ne donnait pas une minute de répit , par ses questions , à son bienveillant interlocuteur . Après l’ avoir interrogé sur les torpilles , il lui demanda ce que c’ était que ces canons verticaux , avec lesquels on pouvait tirer sur les aérostats . – Ce sont tout bonnement , répondit Alban , des canons ordinaires , montés sur un affût qui permet de les diriger vers tous les points de l’ horizon , et de rester perpendiculaires au sol , c’ est - à - dire braqués vers le ciel . Ils ont été employés pour la première fois , pendant le siège de Paris , en 1870 . Bismark , voyant que les assiégés opéraient , presque chaque jour des ascensions couronnées de succès , et parvenaient ainsi à franchir les lignes prussiennes , et à donner de leurs nouvelles au reste de la France , fit construire , pour la première fois quelques-uns de ces engins , par Krupp , le célèbre fondeur allemand . On les appela des « mousquets » . Il ne paraît pas , d’ ailleurs , que ces canons aient produit d’ excellents résultats . Pendant toute la durée du siège , aucun ballon ne fut atteint par eux . Depuis , ils ont été notablement perfectionnés , munis d’ un frein de recul spécial ; et toutes les nations de l’ Europe et de l’ Amérique en possèdent dans leurs arsenaux . La soirée s’ écoula ainsi , au milieu de paisibles conversations entre les passagers de la Princesse des Airs . Un observateur , transporté brusquement dans la salle commune de l’ aéroscaphe , se fût plutôt cru dans le salon de quelque tranquille rentier , et eût eu beaucoup de peine à s’ imaginer que l’ aéroscaphe , en apparence immobile , filait avec une vitesse de cent vingt kilomètres à l’ heure , au-dessus des steppes désolées de la Russie d’ Asie . – Il n’ y a qu’ une chose qui m’ inquiète un peu , dit tout à coup Mme Ismérie , qui , jusque-là était demeurée silencieuse . N’ allons -nous pas manquer de vivres ? Nous avons jeté , par - dessus bord , les deux grandes caisses qui contenaient la majeure partie de notre approvisionnement … J’ ai inspecté ce qui reste : nous n’ en avons pas pour longtemps … Dans deux jours , toutes les réserves seront épuisées . – Voilà qui n’ a pas grande importance , répondit Alban . Dans deux jours notre voyage sera terminé . Si la famine se faisait sentir , nous en serions quittes pour descendre chasser ou pêcher . – Chasser ou pêcher , s’ étonna Ludovic ; mais nous n’ avons pas d’ armes ! – Que cela ne vous préoccupe pas , fit Alban , de l’ air supérieur d’ un homme qui a résolu des difficultés autrement sérieuses … Des armes , j’ en improviserai ou j’ en fabriquerai quand il me plaira . Cependant Armandine tombait de sommeil . Sans abandonner sa poupée , sa chère Virginie , elle s’ était accotée dans un angle : et Mme Ismérie dut l’ appeler à haute voix et la secouer , pour la tirer de sa somnolence . Après avoir renouvelée ses recommandations à Ludovic Rabican sur la façon dont il devait guider les appareils , Alban alla se coucher à son tour . Les fatigues accumulées des jours précédents , et les émotions qu’ il avait ressenties , lui firent trouver le repos délicieux . Il n’ avait , d’ ailleurs , aucune inquiétude , au sujet de l’ aéroscaphe . Étant donnée la vitesse modérée à laquelle on marchait , nul accident n’ était à craindre . La surveillance était pour ainsi dire , une pure formalité . Tel n’ était pas l’ avis de Ludovic . Tout fier du poste d’ honneur qu’ il allait occuper jusqu’ à ce que Mme Ismérie le remplaçât , il ne quitta pas du regard , un instant , les appareils enregistreurs , et nota consciencieusement les variations de vitesse ou d’ altitude qu’ ils indiquaient . Au bout de trois heures de ce travail d’ attention soutenue , assez fatiguant pour une jeune tête , il alla se coucher ; et jusqu’ au matin Mme Ismérie prit sa place dans la cage vitrée d’ où l’ on dominait une immense étendue de ciel , constellée d’ astres éblouissants . La nuit s’ écoula sans incident . Levé dès l’ aurore , Alban fit le tour de la galerie extérieure , et monta sur la plate - forme , pour inspecter l’ horizon . Très loin vers l’ est , apparaissaient des cimes bleuâtres . Mais , au - dessous de l’ aéroscaphe , presque à perte de vue , le paysage s’ étendait , d’ une platitude et d’ une monotonie désolantes . Alban imprima à l’ aéroscaphe un mouvement de descente oblique . Bientôt les voyageurs planèrent à deux ou trois cents mètres à peine de la steppe désolée . Ludovic Rabican , qui venait de sortir de sa cabine , se précipita sur la galerie extérieure , tout heureux de contempler pour la première fois , un paysage d’ Asie . Il fut un peu désappointé , en présence de l’ immense océan d’ herbes d’ un vert profond , qui ondulait mélancoliquement sous le vent . – Je préfère les hautes régions de l’ atmosphère , déclara l’ enfant . L’ air y est plus pur , et le spectacle , sans cesse renouvelé , des nuages est cent fois plus beau que ce pays de désolation . Alban qui n’ avait aperçu , à proximité , aucun village de Cosaques nomades , aucun lac , aucun cours d’ eau même d’ où il eût pu tirer une indication topographique , imprima , de nouveau , à l’ aéroscaphe , un mouvement ascensionnel . Avec un battement d’ ailes accéléré la Princesse des Airs s’ éleva , suivant une ligne une ligne oblique qui formait , avec la ligne d’ horizon , un angle très aigu . C’ est au cours de ce mouvement ascensionnel que se produisit un incident qui devait avoir son importance pour les voyageurs . Deux oiseaux , qui paraissaient exténués de faim et de fatigue , vinrent s’ abattre sur la galerie extérieure , où ils demeurèrent pantelants . Ludovic s’ en empara , et les reconnut sans peine pour des pigeons voyageurs . Ils portaient à la patte un petit anneau couvert de caractères russes , et devaient venir de quelques pigeonnier militaire . La petite Armandine prit les oiseaux sous sa protection , leur émietta du pain et leur donna à boire . Ils avaient dû être poursuivis par quelque oiseau de proie , ou battus par une tempête , car ils paraissaient aussi fatigués qu’ affamés . – Je veux les garder , dit la petite fille ; je les apprivoiserai et j’ en aurai bien soin . – Il faudra , au contraire , décida Alban , les remettre en liberté . Ces pigeons voyageurs peuvent devenir , pour nous , des messagers providentiels . – Ah ! je comprends , s’ écria Ludovic ; vous voulez les charger d’ une dépêche pour mon père et nos amis de Saint-Cloud . Mais comment leur parviendra -t -elle ? – Très aisément … Lorsque ces oiseaux auront regagné le pigeonnier d’ où ils sont partis , un pigeonnier militaire russe sans nul doute , on trouvera notre missive , que les autorités du pays feront traduire et expédieront à nos amis . Ludovic accueillit cette idée avec enthousiasme . Une fois que les pigeons furent bien restaurés et ragaillardis , une courte dépêche fut écrite , sur un fragment de toile très fine , qui fut enroulé autour de la patte des oiseaux . Voici quelle était exactement la teneur de ce message : L’ aéroscaphe la Princesse des Airs quoique avarié n’ est pas en perdition , Rassurez le docteur Rabican , Saint-Cloud ( France ) père de Lu dovic qui est avec nous , bien portant . Planons sur l’ Asie centrale où sont impossibles tous secours Nouvelles bientôt . Alban Molifer . » Il était difficile d’ écrire beaucoup de mots sur du linge ; mais Alban , n’ ayant pas les minces pellicules dont on se sert pour les dépêches par pigeons , avait préféré , au papier , le linge , qui n’ a rien à craindre de la pluie ou de l’ humidité , et qui est plus difficile à détruire . Quand tout fut prêt , les oiseaux furent apportés sur la galerie extérieure ; et tout le monde , même la petite Armandine , quoiqu’ elle eût le cœur un peu gros de se séparer de ses chers oiseaux , accompagna de ses vœux les plus ardents , les petits messagers ailés . Après s’ être élevés à une certaine hauteur , autour de l’ aéroscaphe , comme pour s’ orienter , ils prirent délibérément leur vol dans la direction de l’ Ouest , et ne furent plus , bientôt , que deux points imperceptibles , qui finirent par se confondre avec le bleu du ciel . Au repas de midi , qui eut lieu peu après le lâcher des pigeons voyageurs , les parts furent strictement mesurées . Ne sachant pas exactement combien durerait encore le voyage , Mme Ismérie , en bonne ménagère , usait de prudence . Elle préférait que chacun restât un peu sur son appétit , plutôt que d’ obliger ses hôtes à passer un ou deux jours sans manger avant qu’ on ne fût arrivé au Tonkin . La Princesse des Airs planait maintenant à une très faible hauteur , Alban Molifer ayant reconnu que les couches d’ air plus denses des régions inférieures offraient aux ailes un point d’ appui plus solide , et fatiguaient moins les appareils . En effet , dans les régions très élevées de l’ atmosphère , où l’ air est excessivement raréfié , il fallait un effort deux ou trois fois plus considérable . L’ aspect du paysage s’ était totalement modifié . À la steppe immense et verdoyante que les Tartares ont si pittoresquement dénommée « Terre des herbes » avait succédé un horizon de forêts , de montagnes et de lacs . De tous côtés , les croupes monstrueuses du massif himalayen barraient la vue , couronnées à leur sommet de glaciers étincelants , profondément déchiquetés par des ravines . C’ était un enchevêtrement titanesque de vallons , de pics , de hauts plateaux , qui rappelaient , par leur apparence désolée , les photographies du système orographique de la lune . Tout ce pays paraissait frappé de stérilité et de mort . Pas un village , pas une fumée révélant la présence de l’ homme ; seulement , de temps à autre , un vol de vautours planant au-dessus d’ une gorge , un troupeau de yacks ou d’ antilopes paissant paisiblement quelque pâturage perdu dans un repli des rochers . Ce panorama géologique , où , ainsi que l’ a dit Théophile Gautier en parlant des Pyrénées , le savant peut , comme sur une sorte d’ écorché terrestre , étudier à nu l’ anatomie du globe , offrait un spectacle à la fois mélancolique et grandiose . La chaîne de l’ Himalaya renferme les plus hauts sommets du globe . Le Mont Blanc , qui n’ a que quatre mille huit cent dix mètres d’ altitude , n’ apparaît que comme une montagne sans importance à côté de monstres orographiques tels que le « Gaorisankar » et le « Kintchindjinga » qui portent jusqu’ à des hauteurs de huit mille huit cent trente-neuf mètres , et huit mille cinq cent quatre-vingt-un mètres , leurs cimes sourcilleuses et couvertes de neiges éternelles . De la galerie extérieure de l’ aéroscaphe , les voyageurs , passant à mi-côte des montagnes , planaient au-dessus d’ une véritable mer de nuages , d’ où les sommets étincelants émergeaient comme des récifs sur la mer . Au - dessous de cette couche nuageuse , il y avait peut-être des pluies ou des tempêtes ; au-dessus , c’ était l’ azur , immuablement bleu et profond , sur lequel se découpaient , avec une netteté incroyable , les sommets , immaculés de blancheur , des montagnes géantes … Tout entier à la contemplation du merveilleux panorama qui se déroulait devant ses yeux , Ludovic demeurait comme en extase . Alban Molifer , lui , était tout entier à la direction des appareils . Il ne fallait pas songer à s’ élever au-dessus des sommets : la vie humaine et la respiration sont déjà presque impossibles à partir de quatre mille mètres . Comme un pilote entre les récifs , Alban Molifer , qui cherchait à se maintenir à une hauteur de mille ou deux mille mètres , était parfois obligé de louvoyer . La Princesse des Airs s’ engageait dans des gorges profondes , s’ aventurait entre de hauts pics , qui ne lui laissaient parfois que juste la place de passer . Alban ne quittait plus les leviers qui commandaient le gouvernail , les ailes de l’ hélice . Il faisait preuve d’ un sang - froid admirable . Une fois , vers le milieu de l’ après-midi , l’ aéroscaphe se trouva engagé dans une sorte d’ entonnoir montagneux , un véritable cul-de-sac , bordé de rochers à pic , de granit rouge , dans les crevasses desquels poussaient des arbres tordus , et qu’ il était absolument impossible de franchir . La Princesse des Airs dut faire machine en arrière , reculer jusqu’ à une vallée assez vaste pour permettre de virer de bord . L’ aéroscaphe longea ensuite la chaîne montagneuse , pour trouver un passage , un détroit , par lequel on pût continuer d’ avancer . Alban Molifer n’ était pas sans inquiétudes . La chaîne himalayenne couvre une superficie de plusieurs milliers de kilomètres . Alban , qui avait compté sur une navigation aussi facile et aussi rapide que dans la région des steppes , ne se dissimulait pas qu’ il mettrait beaucoup plus de temps qu’ il n’ avait cru pour atteindre la partie civilisée du Tonkin . Il se passerait peut-être bien des jours , avant qu’ il fût sorti de ces régions chaotiques , où une vigilance de toutes les minutes s’ imposait . De plus , pendant la nuit , on serait obligé de marcher à très petite allure . Un choc de l’ aéroscaphe contre une masse rocheuse eût été fatal aux délicats organes moteurs , d’ où dépendaient l’ existence des aéronautes et le succès du voyage . Alban songeait avec angoisse que , malgré la parcimonie des distributions , les vivres allaient complètement manquer . Il faudrait atterrir pour se ravitailler ; et l’ atterrissement offrait mille dangers . De plus , en admettant que la descente s’ effectuât heureusement , on tomberait sur un sol inhospitalier , où la chasse et la pêche n’ offriraient que des ressources très hasardeuses . Ce seraient de longs retards ; et les parties de l’ appareil planeur réparées , tant bien que mal , par Alban , ne résisteraient peut-être pas assez longtemps , pour permettre aux voyageurs d’ atteindre leur but . Pendant qu’ Alban se livrait à ces réflexions , l’ aéroscaphe courait , à petit vitesse , à peu près la vitesse d’ un train ordinaire , le long d’ une haute muraille de rochers rouges qui paraissaient infranchissables . D’ énormes vautours , au col pelé et rougeâtre , hypnotisés par le métal brillant de la coque , tournaient autour de l’ aéroscaphe avec des piaillements discordants . Quelques - uns même eurent l’ impudence de venir se poser sur la plate - forme , où ils s’ alignèrent en file , leurs griffes accrochées à la balustrade extérieure . Ludovic , armé d’ une tringle de fer , monta sur la plate - forme , pour les chasser . Leurs serres , ou même leur bec acéré , pouvaient causer à l’ appareil planeur des dégâts irrémédiables . Les effrontés oiseaux , aux paupières cerclées de rouge , détalèrent , sans se presser , et d’ un lent battement de leurs lourdes ailes , continuèrent à faire escorte à l’ aéroscaphe . La chaîne rocheuse se continuait presque sans interruption . De temps en temps seulement , les voyageurs apercevaient un torrent , étincelant entre les rocs , comme un panache d’ argent . Dans les anfractuosités , où s’ était amassée un peu de terre végétale , des pins avaient pris racine . Par comparaison avec la gigantesque montagne , ils paraissaient aussi petits , aussi perdus , aussi insignifiants , qu’ une pousse de giroflée ou de pariétaire au haut d’ un vieux mur . Cependant Alban se dépitait . Allait -il donc être obligé de longer interminablement cette chaîne de montagnes qui , allant du sud au nord , écartait l’ aéroscaphe de sa route , le forçant à prendre la direction des frontières de la Chine et de la Sibérie , au lieu de celles du Tonkin ! … Il fallait absolument franchir ces montagnes avant la nuit . Alban , qui se croyait , en droit , d’ après l’ expérience du jour précédent , de compter , jusqu’ à un certain point , sur la solidité des ailes , se résolut à employer un moyen extrême . La coque de la Princesse des Airs était disposée de manière à pouvoir se fermer hermétiquement . Un système d’ obturateurs en caoutchouc s’ appliquait exactement autour des portes métalliques , de façon à intercepter toute communication avec l’ atmosphère extérieure . Ce dispositif avait été adopté , afin de permettre l’ ascension à de grandes hauteurs . Dans ce cas , les voyageurs respiraient , à l’ aide de l’ air liquide ; et de vastes récipients , contenant des substances chimiques de la même nature que la potasse caustique , étaient disposés , de place en place , pour absorber l’ acide carbonique produit par la respiration , et maintenir la pureté de l’ atmosphère intérieure . Mais , comme Alban l’ avait remarqué , pour demeurer longtemps dans les régions supérieures , il fallait imprimer aux appareils moteurs leur vitesse maximum ; et Alban craignait fort que les tringles d’ aluminium qu’ il avait ajustées , à la place des barres d’ acier limées par Jonathan , ne fussent pas capables de supporter cet effort , sans se rompre ou se fausser . Il fallait , néanmoins , à tout prix , franchir ces maudites montagnes . L’ aéronaute , après avoir calculé toutes les chances , se résolut à risquer le tout pour le tout . – Je vais choisir , songea -t -il , la crête la plus basse , et nous passerons . Les ailes ont déjà résisté à la furieuse vitesse que je leur ai imprimée lorsque nous avons échappé aux Russes ; elles résisteront bien à cette traversée des montagnes , qui ne durera pas plus d’ une demi-heure . Aussitôt sortis de la région himalayenne , nous reprendrons , pour tout le reste du voyage , notre allure modérée . Ludovic et Mme Ismérie , qu’ Alban crut devoir mettre au courant de son projet , s’ en montrèrent chaudement partisans . Il valait mieux courir un léger risque , que de tourner des jours et peut-être des semaines , dans ce cirque de pics désolés . D’ ailleurs , ils avaient pleine confiance dans la solidité de l’ appareil qui , ainsi que le disait Ludovic , avait fait ses preuves . En conséquence , on se mit immédiatement à l’ œuvre . Les obturateurs de caoutchouc furent appliqués aux portes métalliques , une bonbonne d’ air liquide fut tirée du magasin et placée sur la table centrale de la salle commune ; les récipients pour l’ absorption de l’ acide carbonique furent débouchés ; et la Princesse des Airs virant de bord , se recula de plusieurs kilomètres . En vertu des principes qui avaient présidé à sa construction , l’ aéroscaphe , délivré de son aérostat , ne pouvait s’ élever suivant une ligne perpendiculaire . Il ne montait et ne descendait que selon un plan très oblique . Arrivé à la distance convenable , Alban actionna ses moteurs , et la Princesse des Airs commença à s’ élever . Les plaques de la coque vibraient ; et le mouvement des ailes était devenu si rapide que , des hublots de la salle commune , elles semblaient immobiles . En quelques minutes , l’ aéroscaphe s’ éleva à six mille mètres . Du givre recouvrit les vitres extérieurement ; le baromètre , disposé à l’ avant , en dehors de la cage du timonier était descendu à moins vingt degrés . Un froid glacial saisit les voyageurs . Armandine grelottait , et Ludovic était transi . Mme Ismérie dut porter au rouge les plaques métalliques qui permettaient de régler , à volonté , la température intérieure . Au - dessous d’ eux , les voyageurs apercevaient comme un immense océan d’ une couleur plombée . C’ était une mer de nuages , que crevaient , çà et là , les pics neigeux des montagnes . Alban , la main sur le levier du gouvernail , le regard fixé sur le baromètre , les dents serrées , avait le visage contracté par l’ émotion . Les appareils indiquaient une altitude de sept mille mètres . Au - dessous de l’ aéroscaphe , les cimes montagneuses fuyaient avec rapidité . – La chaîne de montagne est franchie , s’ écria enfin Alban en poussant un soupir de satisfaction . Je vais ralentir notre vitesse ; nous allons redescendre vers des régions plus tempérées . – Cela n’ a pas été long , fit remarquer Ludovic . Nous n’ avons même pas eu besoin , pour respirer , de nous servir d’ air liquide ! … L’ enfant ne put achever sa phrase . Un craquement sec retentit au-dessus de l’ aéroscaphe . Une des ailes , entièrement détachée par la rupture des tringles d’ aluminium , venait de retomber , inerte , et obstruait les fenêtres de tout un côté . L’ autre aile , continuant de battre , l’ aéroscaphe tournait sur lui-même , dansait comme un bouchon au milieu d’ un torrent , et tombait lentement , en oscillant à droite et à gauche . Un même cri était sorti de la poitrine des voyageurs . Puis , tous s’ étaient tus , et avaient roulé par terre , culbutés par le choc . Armandine s’ était cramponnée au pied du guéridon central de la salle commune . Alban faisait de vains efforts pour immobiliser la seconde aile ; et Ludovic essayait , en rampant , de parvenir jusqu’ à lui , pour être prêt à l’ aider . L’ aéronaute n’ eut qu’ un cri : – Nous tombons ! Vite aux fusées ! D’ un geste , il lança le courant électrique dans la tige métallique qui reliait les bouchons de plomb des bonbonnes d’ air liquide , ce qui permettait , grâce à la fusion instantanée du métal , de les déboucher tous au même instant . L’ orifice de ces bonbonnes - fusées était dirigé vers la terre . Le puissant mouvement de recul qui se produisit lorsque l’ air commença à fuser , ralentit immédiatement la chute . Alban avait réussi à immobiliser les ailes qui , par leur immense surface , formaient , en quelque sorte , parachute . Les yeux hors de la tête , les poings crispés , Alban attendit seul , debout , le moment de la catastrophe . Sur son ordre , Mme Ismérie , Armandine et Ludovic s’ étaient allongés sur les couchettes des cabines . C’ était la meilleure posture pour supporter la terrible secousse qui allait se produire , au moment où la Princesse des Airs toucherait le sol . Pendant les quelques minutes que dura la chute , Alban eut des sensations effroyables . L’ aéroscaphe , où une sorte de demi-obscurité s’ était produite , dégringolait entre les parois d’ un immense puits de rochers . L’ air continuait de fuser hors des bonbonnes . Alban , après un coup d’ œil sur le baromètre , jugea la chute imminente ; et il alla , à son tour , s’ allonger sur une des couchettes des cabines . L’ air liquide , retournant brusquement à l’ état gazeux et se précipitant hors des cinquante réservoirs de métal , produisait un sifflement strident , un bruit aigu , comparable seulement à celui des sirènes à vapeur . Un silence de mort planait dans les cabines . Tous fermaient les yeux , s’ agrippaient désespérément aux couchettes , dans l’ attente de l’ épouvantable choc qui allait se produire . Malgré la lenteur relative de la descente , tous avaient la sensation vertigineuse de choir , en tournoyant , au fond d’ un gouffre . Tout d’ un coup , l’ aéroscaphe parut chavirer sur lui-même . Un heurt très violent venait de se produire . L’ aile cassée , touchant la première le sol , s’ était rompue net . Pendant quelques secondes , les aéronautes , affolés , cognant de la tête contre les parois métalliques , perdirent toute conscience de ce qui se passait . Ils étaient secoués et ballottés , comme sur un navire par un jour de grande tempête . Relancé en l’ air , par la force des fusées à air liquide , l’ aéroscaphe touchait le sol , puis rebondissait , se cognant , avec des craquements sinistres , contre les rocs , dont le contact achevait de démolir les ailes et bossuait la coque . Le chargement des fusées à air liquide avait été calculé pour une très longue descente . Les bonbonnes d’ acier étaient loin d’ être vides lorsque l’ aéroscaphe toucha , une première fois , le sol . Par bonds irréguliers , l’ aéroscaphe parcourut ainsi une centaine de mètres ; puis , lentement , le bruit strident du gaz s’ échappant par les ouvertures , s’ affaiblit et cessa bientôt . La Princesse des Airs gisait , à présent , sur un lit de blocs granitiques , que parsemaient de chétifs rhododendrons et de maigres fleurs des hauts sommets . Meurtris , contusionnés par les effroyables secousses qu’ ils venaient de subir , les voyageurs avaient tous perdu connaissance . Au fond de l’ entonnoir perpendiculaire de rochers où ils étaient tombés , une nuit épaisse régnait déjà . Les dernières gouttes d’ air liquide s’ étaient évaporées ; l’ hélice ne tournait plus . Semblable à quelque gigantesque cétacé échoué sur un rivage inconnu , l’ aéroscaphe s’ étendait au milieu des pierrailles , dans le silence et le froid mortel de ce ravin perdu du massif himalayen . Plusieurs heures s’ écoulèrent ainsi . Enfin , Alban Molifer , qui , pendant les secousses de l’ atterrissement , avait le mieux résisté , à cause de sa grande force musculaire et de son agilité acrobatique , se releva en chancelant et porta instinctivement la main à son visage où coulait du sang . Sa tête vacillait ; il se sentait endolori dans tous ses membres , comme s’ il eût été bastonné ou qu’ il eût subi le supplice de l’ estrapade . Il se traîna en trébuchant jusqu’ à la salle commune , ralluma , d’ un coup de doigt , les lampes électriques dont la clarté vive l’ éblouit , et faillit lui causer une seconde syncope . Puis , s’ approchant du coffre à provisions , il saisit une bouteille de cognac dont il but quelques gorgées . L’ effet de ce cordial fut magique et presque instantané sur le robuste tempérament de l’ ancien gymnasiarque . Il se tâta , il toussa , se regarda dans une glace : il n’ avait d’ autre blessure qu’ une grande écorchure au nez . Sa face avait heurté contre la muraille de métal , ce qui expliquait ce sang dont il était tout couvert . Sans songer un instant à se soigner lui-même , Alban se mit en devoir de secourir ses compagnons . Comme tous , au moment de la chute de l’ aéroscaphe , avaient adopté la même position horizontale sur les couchettes , tous portaient à peu près les mêmes blessures : des contusions à la tête et aux jambes . Armandine n’ avait , au genou , qu’ une légère écorchure , mais elle portait , au front , une grande balafre . Mme Ismérie n’ avait reçu aucune blessure à la tête , mais ses jambes étaient sillonnées de profondes écorchures . Quant à Ludovic , il était souillé de sang , et son visage était d’ une pâleur de cire .", "Les uns tirèrent un poulet , les autres un pâté ; celui-ci une bouteille de vin , celui -là un saucisson , de sorte que le dîner se ressentit de la prodigalité du déjeuner . Quant à la nuit ( on était au 5 juin ) , le temps était doux ; on la passa à la belle étoile , sous les arbres magnifiques qui sont à la gauche de la route en allant à Sainte-Menehould . Les volontaires qui étaient du pays racontèrent aux autres comment c’ était là , c’ est - à - dire à Pont-Somme-Vesle , que le roi , lors de sa fuite , avait eu sa première déception , c’ est - à - dire n’ avait point trouvé les hussards qui devaient l’ attendre et qui avaient été dispersés par les paysans . Au reste , toute la légende de Louis XVI à Varennes est encore vivante dans le pays . Dans la soirée , un postillon de Sainte-Menehould passa ramenant des chevaux de la poste de Drouet . Jacques Mérey l’ arrêta , lui donna un assignat de cinq francs à la condition qu’ il dirait en passant au maître de l’ auberge de la Lune d’ envoyer sur la route , au - devant des volontaires , un âne chargé de pain , de vin et de tout ce qu’ il aurait de viande rôtie . L’ aubergiste était invité en même temps à préparer , pour quatre heures , un dîner de vingt personnes . Le postillon partit en promettant de s’ acquitter de la commission . Le lendemain , à six heures , le tambour réveilla les dormeurs . On se secoua , on but le reste de l’ eau-de-vie que contenaient les bidons , et l’ on se mit en route avec une certaine inquiétude . Il y avait six lieues de Pont-Somme-Vesle à Sainte-Menehould , et nul n’ avait connaissance des mesures prises . La première heure de marche s’ écoula assez gaiement , mais la fin de la seconde voyait la moitié de nos volontaires lutter contre un découragement croissant , lorsque le sergent Léon Milcent aperçut , à la hauteur de la source de l’ Aisne , un âne conduit par un petit paysan . — Mes amis , dit -il , si j’ étais Moïse , que vous fussiez des Hébreux au lieu d’ être des Français , et que je vous conduisisse à la terre promise au lieu de vous conduire à l’ ennemi , je croirais avoir besoin d’ un miracle pour soutenir votre courage , et je vous dirais que Jéhovah nous envoie cet âne et ce paysan . Mais j’ aime mieux vous dire tout simplement que c’ est le maître de l’ auberge de la Lune qui nous l’ envoie et qu’ il porte notre déjeuner . En conséquence , comme la place me paraît propice , je me permettrai de vous crier « halte ! » et de vous inviter à mettre les fusils en faisceaux . Jamais harangue , si éloquente qu’ elle fût , ne fut reçue par de semblables acclamations , et jamais conducteur de tribu , fût -il prophète , n’ eut une ovation comparable à celle du faux sergent . D’ abord les volontaires n’ y voulaient pas croire ; mais le petit paysan , s’ arrêtant et arrêtant son âne : — C’ est - t’ y pas vous , dit -il , qui avez commandé qu’ on vous apporte sur la route un déjeuner et qu’ on vous prépare là - bas à l’ auberge un dîner de vingt personnes ? — Ah ! le malheureux , s’ écria Léon Milcent , il me fait manquer mon effet ! Puis , se tournant vers les volontaires : — Mes amis , leur dit -il , vous avez bien voulu me reconnaître pour votre chef ; or , c’ est au chef de se préoccuper de la nourriture de ses soldats . — Ah çà ! c’ est bien ici , n’ est -ce pas ? répéta le paysan . — Eh ! oui , idiot ! — Mais , mon sergent , dit un homme de la troupe après s’ être consulté avec deux ou trois de ses camarades , il en est quelques-uns de nous qui n’ ont point d’ argent et qui comptaient sur l’ argent du gouvernement pour nous défrayer en route ; nous aimons mieux vous dire cela tout de suite , sergent , que de vous voir nous traiter en grands seigneurs , quand nous ne sommes que de pauvres diables . — Que cela ne vous inquiète pas , mes chers camarades , dit Jacques Mérey qui reprenait sa gaieté au fur et à mesure qu’ il se rapprochait du moment où il allait revoir Éva ; – de même que je suis chargé de la nourriture de ma troupe , je suis chargé de sa paye . Quand vous serez arrivés à destination , vous recevrez votre arriéré et nous réglerons tout cela . En attendant , à table ! La table fut un beau tapis vert où chacun se coucha pour manger à la manière romaine . Pris à l’ improviste , il n’ y avait point de profusion dans ce qu’ envoyait l’ aubergiste de la Lune , mais il y avait assez . Le déjeuner fut d’ autant plus gai qu’ il était plus inattendu ; chacun y puisa des forces pour continuer son chemin . Un boiteux qui s’ était donné une entorse le matin prit l’ âne , et tout alla à merveille . Le gamin seul se prétendait blessé , attendu , disait -il , que c’ était à lui que l’ âne devait appartenir ; mais un verre de vin et un assignat de dix sous lui rendirent sa belle humeur . On arriva à quatre heures à l’ auberge de la Lune , et l’ on trouva la table prête . Selon la recommandation de Jacques Mérey , on l’ avait dressée à l’ extrémité du petit jardin de l’ auberge qui dominait toute la plaine de Valmy . Jacques Mérey et ses volontaires étaient juste postés à la place où , le jour de la bataille , étaient placés le roi de Prusse , Brunswick et l’ état - major . La plaine était couverte de moissons . Des ondulations indiquaient les endroits où les Prussiens morts étaient couchés dans de grandes fosses . Partout où ces ondulations se manifestaient , une végétation plus vive attestait la présence de cet engrais animal qu’ on appelle l’ homme , et qui a seul l’ honneur de pouvoir faire concurrence au guano . Grâce à ces jalons , la démonstration devenait facile pour Jacques Mérey . À un kilomètre à peu près , au fond d’ une petite vallée ayant quelque ressemblance avec celle de Waterloo , les ondulations s’ arrêtaient . Les Prussiens n’ avaient pas même atteint le pied de la colline de Valmy . Sur cette colline étaient Kellermann , ses seize mille hommes et sa batterie de canons . Derrière lui , sur le mont Ivron , les six mille hommes qu’ y avait fait filer Dumouriez pour empêcher son collègue d’ être tourné . À sa gauche , le moulin à vent , derrière lequel un obus mit le feu à quelques caissons , ce qui jeta un instant de trouble dans les rangs français . — Et vous , demandèrent les volontaires , où étiez -vous ? Le faux sergent poussa un soupir et montra de la main l’ espace compris entre Sainte-Menehould et Braux - Sainte - Cubière . — Alors , dit un des volontaires , tu étais avec Dumouriez ? — Oui , dit Jacques Mérey , je suis de ce pays - ci , et je lui avais servi de guide dans la forêt d’ Argonne . Jacques laissa tomber sa tête dans ses deux mains . À peine neuf mois s’ étaient écoulés depuis Valmy , cette merveilleuse aurore de la République et de la liberté , et la République se déchirait elle-même , et la liberté était plus que jamais menacée par l’ ennemi . Enfin , lui-même , Jacques Mérey , lui qui , au milieu des applaudissements de la Convention , de Paris , de toute la France , était venu annoncer les deux grandes victoires que l’ on croyait le salut de la patrie , il avait été obligé de fuir inaperçu de la Convention , de sortir de Paris entre le bourreau et son aide , comme s’ il eût marché à l’ échafaud , et il traversait la France , fugitif , déguisé , proscrit , repassant , obscur et caché sous l’ habit d’ un volontaire , par ces mêmes pays où , neuf mois auparavant , il avait passé triomphant . Et Dumouriez . . . C’ était celui -là qui devait vraiment être malheureux . Victime d’ un cataclysme révolutionnaire , Jacques Mérey reverrait peut-être un jour glorieusement la France . Il y reprendrait alors le rang que son mérite lui assignait . Mais Dumouriez , traître , matricide , n’ y rentrerait jamais . Tout cela tira une larme des yeux du faux sergent . — Tu pleures , citoyen , lui dit un volontaire . Jacques haussa doucement les épaules , montra d’ un geste circulaire tout le champ de bataille . — Hélas ! oui , dit -il , je pleure ! Je pleure ces jours que , comme ceux de la jeunesse , on ne revoit pas deux fois ! Chapitre 2 La famille Rivers LE DÎNER FINI , COMME on avait encore deux heures de jour , on ne voulut point gagner Sainte-Menehould par la grand-route , mais faire un pèlerinage à Valmy . On arriverait un peu plus tard à Sainte-Menehould , mais peu importait ; on avait bien dîné , la fatigue avait disparu , chaque volontaire était dans l’ admiration de ce sergent qui pourvoyait à tous les besoins du corps , et qui suffisait à ceux du cœur et de l’ esprit par ses propres souvenirs . Tous l’ eussent suivi au bout du monde et se fussent fait tuer pour lui . Et lui , quelque hâte qu’ il eût de rejoindre cette âme de sa vie , cette étoile de son cœur que l’ on appelait Éva , il prenait cependant en patience cette obligation où il était de gagner la frontière à petites journées . Il marchait encore sur la terre de la patrie , que dans trois ou quatre jours il abandonnerait pour ne plus la revoir jamais peut-être . De temps en temps , il lui prenait l’ envie de se jeter la face contre terre et de baiser cette mère commune qu’ il y a deux mille six cents ans baisait Brutus comme mère des mères . Tout lui en paraissait beau , tout lui en semblait précieux . Il s’ arrêtait pour cueillir une fleur , pour entendre chanter un oiseau , pour voir couler un ruisselet . Il avait un soupir de regret pour chaque chose . Il régla son compte avec l’ hôte , puis prit , entre un champ d’ orge et de seigle , un petit sentier où l’ on ne pouvait marcher qu’ un à un , et qui conduisait à Valmy . Les habitants du village les virent venir de loin et crurent qu’ ils leur étaient envoyés , comme cela arrivait souvent à cette époque , en logement . Ils vinrent au - devant d’ eux . Mais , quand ils surent que c’ était la simple curiosité qui les amenait , chacun voulait se faire cicérone et s’ emparer de son volontaire . Jacques Mérey alla s’ asseoir sur le banc de pierre qui est à la porte du moulin , et , quand un des garçons meuniers lui offrit de lui raconter obligeamment la bataille : — Inutile , mon ami , lui dit le faux sergent , j’ en étais ! — De ceux d’ ici ? demanda le meunier . — Non , répondit Jacques en souriant et en montrant le camp de Dumouriez , de ceux de là . On se remit en route , et par un autre sentier on alla , en longeant un petit cours d’ eau , rejoindre la descente de Sainte-Menehould , là où le 23 juin 1791 M. de Dampierre avait été tué . Chose bizarre et cependant commune dans les guerres civiles , l’ oncle mourait à la descente de Sainte-Menehould en criant : « Vive le roi ! » , le neveu mourait dans le bois de Vicoigne en criant : « Vive la République ! » On entra à Sainte-Menehould à la nuit . Les volontaires reçurent à la municipalité des billets de logement . Jacques Mérey préféra coucher à l’ auberge . Avant de se séparer de ses compagnons , Jacques Mérey leur proposa de faire le lendemain grande étape , une étape de neuf lieues , afin d’ aller coucher à Verdun . On déjeunerait à Clermont . Et , comme quelques-uns des volontaires auraient peur à faire cette étape de neuf lieues , Jacques Mérey se procurerait une charrette à deux chevaux bien rembourrée de paille dans laquelle on mettrait le déjeuner d’ abord , puis les fusils , puis les sacs , puis les boiteux . Moyennant toutes ces précautions , on arriverait à Verdun vers huit heures du soir . Le faux sergent craignait d’ être reconnu à Verdun ; il désirait y arriver de nuit et en repartir avant le jour . On déjeunerait et on ferait une halte de quatre ou cinq heures , aussi longue que l’ on voudrait enfin , sous les grands arbres qui bordent l’ Aire . On mangerait , en attendant , un morceau de pain , et l’ on boirait la goutte aux Islettes , charmant village situé au cœur même de la forêt d’ Argonne . On partit de Sainte-Menehould au jour naissant , et l’ on arriva au sommet de la montagne derrière laquelle se cache la forêt à cette heure charmante de la matinée où flotte au sommet des arbres une vapeur bleue et transparente . Tout à coup , la terre semble manquer sous les pieds , et la vue s’ étend sur un océan de verdure ; la route s’ enfonce rapide au milieu de cet océan qu’ elle sépare , et dont parfois les vagues de feuillage se réunissent au-dessus de la tête du voyageur . Les épaulements de la batterie de Dillon étaient encore debout et intacts , comme si l’ on venait d’ en enlever les canons . Dillon , on se le rappelle , avait tenu jusqu’ au dernier moment , et c’ était sur lui que s’ était replié Dumouriez . La halte fut gaie ; les commencements de route , où chacun est alerte et reposé , sont toujours joyeux . La journée s’ écoula selon le programme : on déjeuna au bord de l’ Aire , on s’ y reposa , on y joua aux cartes , on y dormit sur l’ herbe pendant quatre ou cinq heures . À huit heures , on entrait à Verdun . Verdun payait cher sa faiblesse . Tous ceux qui avaient pris part à la trahison de la ville avaient été arrêtés . On instruisait le procès des jeunes filles qui avaient été porter des fleurs et des bonbons au roi de Prusse . Le reste de la route offrait peu d’ intérêt . La marche des Prussiens , à leur entrée en France , n’ avait éprouvé d’ obstacles qu’ au-delà de l’ Argonne . On coucha à Briey , puis à Thionville . On n’ avait plus qu’ une étape pour arriver à destination . Jacques Mérey donna rendez-vous pour le surlendemain à ses compagnons de route à Sarrelouis , leur annonçant qu’ il allait faire une visite à l’ un de ses parents qu’ il avait dans un petit village des environs . Avant de quitter les volontaires , le brave sergent Léon Milcent , qui avait si paternellement veillé sur leurs besoins pendant qu’ il avait été avec eux , s’ informa encore de ceux qui en son absence pourraient avoir besoin de lui . Une centaine de francs en assignats assurèrent la nourriture des plus nécessiteux , jusqu’ au moment où à Sarrelouis ils toucheraient leur arriéré . La Convention accordait , somme énorme , quarante sous par jour à ses volontaires . Ceux du sergent Léon Milcent quittèrent donc leur chef en le remerciant de tous les soins qu’ il avait eus pour eux et en se promettant une fête de son arrivée à Sarrelouis . Mais ils l’ attendirent vainement le lendemain , vainement le jour suivant , et , comme il n’ avait pas dit où il allait , ils ne purent s’ informer de lui . Cependant ils espéraient et attendaient toujours ; mais une semaine se passa ; quinze jours , un mois se passèrent sans nouvelles , et le temps s’ écoula sans que l’ on entendît jamais reparler de lui . Qu’ était -il devenu ? Jacques Mérey , qui , avec raison , croyait n’ avoir plus rien à craindre , prit à Thionville une petite voiture , dont le propriétaire , moyennant un assignant de six livres , s’ engagea à le conduire à la ferme des Trois-Chênes , une des plus belles qui soient situées sur la rive droite de la Moselle , à une lieue et demie de la frontière . À dix heures du matin , toujours sous son costume de sergent de volontaires , Jacques Mérey descendit à la porte de la ferme , et , sous l’ ombrage des trois chênes qui lui avaient fait donner son nom et en homme qui est sûr d’ être bien reçu , il paya et renvoya sa voiture . Puis il regarda avec curiosité les bâtiments en homme qui cherche à rappeler ses souvenirs . Un chien accourut en aboyant contre lui , mais il étendit la main et le calma . Aux aboiements du chien , un enfant accourut , un beau petit garçon blond comme un rayon de soleil . — Prenez garde , monsieur , dit -il , Thor est méchant . Thor était le nom du chien . — Pas avec moi , dit le volontaire . Tu vois ? Il fit un signe à Thor et Thor vint le caresser . — Qui es - tu ? demanda le petit garçon au volontaire . — Je n’ ai pas besoin de te demander qui tu es , toi : tu es le petit-fils de Hans Rivers . — Oui . — Où es ton grand-père ? — Dans la ferme . — Conduis -moi à lui . — Venez . Il prit la main de l’ enfant et s’ avança avec lui vers un perron au haut duquel parut un vieillard d’ une soixantaine d’ années . — Grand-papa , dit l’ enfant qui courut à lui , voici un monsieur qui nous connaît . Le vieillard leva son bonnet de laine , saluant de la main , interrogeant des yeux . — Monsieur , lui dit Jacques , j’ avais l’ âge de cet enfant quand je vins ici , et c’ est la seule et unique fois que j’ y vins . J’ étais avec mon père , Daniel Mérey ; vous signâtes avec lui le bail de cette ferme , que je vous ai renouvelé , il y a , je crois , trois ans . — Dieu me bénisse ! s’ écria Hans , seriez -vous notre maître Jacques Mérey ? Jacques se mit à rire . — Je ne suis le maître de personne , dit -il , car , à mon avis , l’ homme n’ a d’ autre maître que lui-même . Je suis tout simplement votre propriétaire . — Jeanne , Marie , Thibaud , accourez tous , s’ écria le vieillard , un jour heureux nous arrive ! Venez , venez , venez ! Et , au fur et à mesure qu’ il appelait , les appelés accouraient et se rangeaient autour de lui . — Regardez bien monsieur , dit -il , vous tous , tant que vous êtes , et vous aussi , dit -il , étendant l’ invitation à deux garçons de charrue , à un berger et à une gardeuse de dindons , c’ est à lui que nous devons tout ; monsieur , c’ est notre bienfaiteur , Jacques Mérey . Un cri s’ échappa de toutes les bouches , les têtes se découvrirent . — Entrez chez vous ! dit le vieillard . Du moment où vous avez mis le pied dans la maison , nous ne sommes plus que vos serviteurs . Tous se rangèrent . Jacques Mérey entra . — Allez chercher à la charrue Bernard et aux vaches Rosine . . . Bah ! c’ est aujourd’hui fête , on ne travaille pas . Bernard et Rosine étaient le fils aîné et la belle-fille du vieillard , le père et la mère de l’ enfant blond . Une heure après , tout le monde était réuni autour de la table du dîner . Il était midi . Hans était le grand-père , Jeanne était la grand-mère , Bernard était le fils aîné , Rosine était sa femme , Thibaud était un second fils de vingt-deux ans , Marie était une fille de dix-huit ans , Richard était l’ enfant blond de dix ans , le fils de Bernard et de Rosine . C’ était toute la famille . L’ aïeul avait cédé son fauteuil à Jacques , qui présidait la table . On en était arrivé au dessert . — Hans Rivers , dit Jacques , combien y a -t -il de temps que vous êtes fermier dans notre famille ? — Il y a , monsieur Jacques , attendez donc ! c’ était entre la naissance de Thibaud et celle de Marie . . . il y a vingt et un ans , monsieur Jacques . — Pendant combien d’ années avez -vous payé vos redevances ? — Tant que votre digne père , M. Daniel , a vécu , c’ est - à - dire quinze ans . — Il y a donc sept ans que vous ne m’ avez rien payé ? — C’ est vrai , monsieur Jacques ; mais d’ après votre ordre . — Je vous ai dit : « Vous êtes d’ honnêtes gens , gardez vos redevances , achetez du bien avec ; plus vous serez riches , plus je le serai . » — Vous nous avez dit cela , monsieur Jacques , mot pour mot , et , en nous disant cela , vous avez commencé notre fortune . — Et quand on a mis en vente les biens des émigrés , c’ est - à - dire de ceux qui se battent contre la France , je vous ai dit : « Vous devez avoir de l’ argent de côté , à moi ou à vous , peu importe ; achetez du bien d’ émigré , c’ est du bon bien qui ne se vendra pas plus de deux ou trois cents francs l’ arpent , et qui vaudra celui qui se vend six et huit . » — Nous avons fait comme vous avez dit , monsieur Jacques , de sorte qu’ aujourd’hui nous avons trois cents arpents de terre à nous . Ça nous fait , Dieu nous pardonne ! presque aussi riches que notre maître . Il est vrai que là - dessus nous vous devons , avec les intérêts composés , près de quarante mille francs . Mais nous sommes prêts à vous les rendre , non pas en mauvais papier , mais en bon argent , comme nous vous le devons . — Il n’ est pas question de cela , mes amis . Je n’ ai pas besoin de cet argent maintenant ; mais peut-être en aurai -je besoin plus tard . — Vous savez , à ce moment -là vous le direz , monsieur Jacques , et , huit jours après , foi de Hans Rivers ! vous serez payé . Jacques se mit à rire . — Vous auriez un moyen de me payer plus rapide et plus simple , dit -il ; ce serait d’ aller me dénoncer . Je suis proscrit . On me couperait le cou , et vous ne me devriez plus rien . Le père et les enfants , à ces mots , jetèrent un cri et se levèrent debout . Puis le père leva les bras au ciel . — Il vous ont proscrit , vous , dit -il , vous le droit , vous la justice , vous la représentation de Dieu sur la terre ; mais que veulent -ils donc ? — Ils veulent le bien ; ils croient le vouloir du moins . Alors , comme je suis obligé de quitter la France à mon tour et que je pourrais être arrêté à la frontière , j’ ai pensé à vous , Hans Rivers . — Ah ! voilà qui est bien ! monsieur Jacques . — J’ ai dit , Hans Rivers tient une ferme de mon père sur la Moselle , à deux kilomètres de la frontière , il doit être chasseur . — Je ne le suis plus , mais mes deux fils Bernard et Thibaud le sont . — Cela revient au même ; ils doivent avoir un bateau sur la rivière ? — Ah ! oui , dit Thibaud , et un joli bateau ; c’ est moi qui le soigne . Vous verrez , monsieur Jacques . — Eh bien ! je mettrai les habits du père Hans ou d’ un de ses enfants ; nous monterons dans le bateau , comme des chasseurs de gibier d’ eau . La chasse est toujours ouverte sur la rivière . Nous nous laisserons aller à la dérive jusqu’ à Trèves , et , une fois là , une fois hors de France , je serai sauvé . — Ce sera à votre loisir , monsieur Jacques , dit le père Hans . Tout de suite si vous voulez . — Ma foi , non ! mon brave ami , répliqua Jacques Mérey ; il sera temps demain matin . Vous croiriez que j’ ai eu peur de passer une nuit sous votre toit . Le lendemain , au point du jour , trois hommes vêtus de costumes de chasseur et accompagnés de deux chiens nageurs détachaient une barque retenue par une chaîne au pied d’ un saule , dans une petite anse de la Moselle , et descendaient dans la barque . Deux de ces trois hommes allaient se mettre aux rames , lorsque le troisième , qui était assis au gouvernail , leur fit signe de les laisser en repos . Puis , avec un triste sourire :", "— Très sérieuses . Et au moins un témoignage , plus qu’ accablant , recueilli ce matin . — De qui ? — D’ un de ses élèves . — Il a vu quelque chose ? — Oui . — Quoi ? — L’ instituteur sortir , le mardi matin , vers dix heures vingt , de sa cabane à outils . Or , c’ est à dix heures et quart que l’ adjoint a entendu un coup de carabine . — Vous avez demandé un mandat d’ arrêt au juge d’ instruction ? — J’ allais me rendre à La Rochelle pour le faire quand vous m’ avez appelé . Comment êtes -vous au courant ? Est -ce que les journaux … ? — Je n’ ai pas lu les journaux . Joseph Gastin est dans mon bureau . Il y eut un silence , puis le lieutenant émit un : — Ah ! Après quoi il eut sans doute envie de poser une question . Il ne le fit pas . Maigret , de son côté , ne savait trop que dire . Il n’ avait pas pris de décision . Si le soleil n’ avait pas été ce qu’ il était ce matin -là , si , tout à l’ heure , le commissaire n’ avait pas eu une bouffée de Fourras , des huîtres et du vin blanc , si , depuis plus de dix mois , Maigret n’ avait pas été empêché de prendre ne fût -ce que trois jours de vacances , si … — Allô ! Vous êtes toujours au bout du fil ? — Oui . Qu’ est -ce que vous comptez faire de lui ? — Vous le ramener . — Vous - même ? C’ était dit sans enthousiasme , ce qui fit sourire le commissaire . — Remarquez que je ne me permettrai pas d’ intervenir en quoi que ce soit dans votre enquête . — Vous ne croyez pas qu’ il soit … — Je ne sais pas . Peut - être est -il coupable . Peut - être ne l’ est -il pas . De toute façon je vous le ramène . — Je vous remercie . Je serai à la gare . Dans son bureau , il trouva Lucas qui observait curieusement l’ instituteur . — Attends -moi encore un moment . Un mot à dire au chef . Son travail lui permettait de prendre quelques jours de congé . Quand il revint , ce fut pour demander à Gastin : — Il existe une auberge , à Saint-André ? — Le Bon Coin , oui , tenu par Louis Paumelle . On y mange bien , mais les chambres n’ ont pas l’ eau courante . — Vous partez , Patron ? — Demande -moi ma femme . Tout cela s’ était passé d’ une façon si inattendue que le pauvre Gastin , éberlué , n’ osait pas encore se réjouir . — Qu’ est -ce qu’ il vous a dit ? — Il va probablement vous arrêter dès que nous arriverons à la gare . — Mais … vous venez avec moi … ? Maigret fit oui de la tête , saisit le récepteur que lui tendait Lucas : — C’ est toi ? Veux - tu me préparer une petite valise avec du linge et mes objets de toilette ? … Oui … Oui … Je ne sais pas … Peut - être trois ou quatre jours … Il ajouta , guilleret : — Je vais au bord de la mer , dans les Charentes . En plein pays des huîtres et des moules . En attendant , je déjeune en ville . À tout à l’ heure … Il avait l’ impression de jouer un bon tour à quelqu’ un , comme les gamins qui s’ étaient acharnés si longtemps sur la vieille Léonie Birard . — Venez avec moi manger un morceau , dit -il enfin à l’ instituteur qui se leva et le suivit comme dans un rêve . CHAPITRE 2 La servante du Bon Coin À Poitiers , les lampes s’ allumèrent tout à coup le long des quais alors que le train était en gare , mais il ne faisait pas encore noir . Ce ne fut que plus tard , alors qu’ on traversait des pâturages , qu’ on vit la nuit tomber , les fenêtres des fermes isolées devenir brillantes , comme des étoiles . Puis , soudain , à quelques kilomètres de La Rochelle , un léger brouillard qui n’ était pas le brouillard de la campagne mais celui de la mer , se mêla à l’ obscurité et un phare apparut un moment dans le lointain . Il y avait deux autres personnes dans le compartiment , un homme et une femme , qui avaient lu pendant tout le voyage en levant parfois la tête pour échanger quelques phrases . Le plus souvent , surtout vers la fin , Joseph Gastin avait gardé ses yeux fatigués fixés sur le commissaire . On franchissait des aiguillages . Des maisons basses défilaient . Les voies devenaient plus nombreuses et enfin surgissaient les quais de la gare , les portes avec leurs écriteaux familiers , les gens qui attendaient , les mêmes , eût -on dit , que dans les gares précédentes . La portière à peine ouverte , on sentait une haleine forte et fraîche qui venait du trou noir où les voies avaient l’ air de finir et , en regardant avec plus d’ attention , on distinguait des mâts de bateaux , des cheminées qui se balançaient doucement , on entendait des cris de mouettes , on reconnaissait l’ odeur de la marée et du goudron . Les trois hommes en uniforme , debout près de la sortie , ne bougèrent pas . Le lieutenant Daniélou , encore jeune , avait une petite moustache sombre , des sourcils épais . Quand Maigret et son compagnon furent à quelques mètres , seulement , il s’ avança , tendit la main d’ un geste militaire . — Très honoré , monsieur le commissaire , prononça -t -il . Maigret remarquant qu’ un des brigadiers tirait une paire de menottes de sa poche , murmura à l’ adresse du lieutenant : — Je ne pense pas que ce soit nécessaire . Le lieutenant adressa un signe à son subordonné . Quelques têtes s’ étaient tournées dans leur direction , pas beaucoup . Les gens marchaient en troupeau vers la sortie , alourdis par leurs valises , traversaient en diagonales la salle des pas perdus . — Mon intention , lieutenant , n’ est pas de me mêler en quoi que ce soit de votre enquête . J’ espère que vous m’ avez bien compris . Je ne suis pas ici à titre officiel . — Je sais . Nous en avons parlé , le juge d’ instruction et moi . — J’ espère qu’ il n’ est pas mécontent ? — Il se réjouit , au contraire , de l’ aide que vous pourrez nous apporter . Au point où nous en sommes , nous ne pouvons faire autrement que de le placer sous mandat d’ arrêt . Joseph Gastin qui , à un mètre d’ eux , feignait de ne pas écouter , entendait forcément leur conversation . — De toute façon , c’ est dans son intérêt . Il sera plus en sûreté en prison qu’ ailleurs . Vous n’ ignorez pas comment on réagit dans les petites villes et les villages . Tout cela était un peu guindé . Maigret lui-même n’ était pas trop à son aise . — Vous avez dîné ? — Dans le train , oui . — Vous comptez rester à La Rochelle pour la nuit ? — On m’ a dit qu’ il y a une auberge à Saint-André . — Vous me permettez de vous offrir un verre ? Comme Maigret ne répondait ni oui , ni non , le lieutenant alla donner des instructions à ses hommes qui s’ approchèrent de l’ instituteur . Le commissaire qui n’ avait rien à dire à celui-ci , se contenta de le regarder gravement . — Vous avez entendu . Il faut y passer , semblait -il s’ excuser . Je ferai de mon mieux . Gastin , lui aussi , le regarda , se retourna un peu plus tard pour un nouveau coup d’ œil , franchit enfin la porte entre les deux gendarmes . — C’ est au buffet que nous serons le mieux , murmura Daniélou . À moins que vous préfériez venir jusque chez moi ? — Pas ce soir . Quelques voyageurs dînaient dans la salle mal éclairée . — Qu’ est -ce que vous prenez ? — Je ne sais pas . Une fine . Ils s’ assirent dans un coin , devant une table encore dressée pour le repas . — Vous ne mangez pas ? s’ informa la serveuse . Ils firent signe que non . Quand ils eurent leurs consommations , seulement , le lieutenant , embarrassé , questionna : — Vous croyez qu’ il est innocent ? — Je ne sais pas . — Jusqu’ à ce que nous ayons le témoignage du gamin , il nous était possible de le laisser en liberté . Malheureusement pour lui , ce témoignage -là est formel et l’ enfant paraît sincère , n’ a aucune raison de mentir . — Quand a -t -il parlé ? — Ce matin , lorsque j’ ai questionné une seconde fois toute la classe . — Il n’ avait rien dit hier ? — Il était intimidé . Vous le verrez . Si vous le désirez demain matin , quand j’ irai là - bas , je vous communiquerai le dossier . Je passe le plus clair de mon temps à la mairie . Une gêne subsistait . Le lieutenant paraissait impressionné par la massive silhouette et par la réputation du commissaire . — Vous êtes habitué aux affaires et aux gens de Paris . Je ne sais pas si vous connaissez l’ atmosphère de nos petits villages . — Je suis né dans un village . Et vous ? — À Toulouse . Il s’ efforça de sourire . — Vous désirez que je vous conduise là - bas ? — Je crois que je trouverai un taxi . — Si vous préférez . Il y en a devant la gare . Ils se séparèrent à la portière de la voiture qui longea le quai et Maigret se pencha pour distinguer les bateaux de pêche dans l’ obscurité du port . Cela le décevait d’ arriver dans la nuit . Quand on tourna le dos à la mer et qu’ on quitta la ville , ce fut pour traverser des campagnes qui ressemblaient à toutes les campagnes et , après deux villages , déjà , la voiture s’ arrêta devant une fenêtre éclairée . — C’ est ici ? — Vous avez demandé le Bon Coin , n’ est -ce pas ? Un personnage très gros vint regarder à travers la porte vitrée , et sans ouvrir suivit les allées et venues de Maigret qui prenait sa valise , la déposait , payait la course , se dirigeait enfin vers l’ auberge . Des hommes jouaient aux cartes , dans un coin . L’ auberge sentait le vin et le ragoût et de la fumée traînait autour des deux lampes . — Vous avez une chambre libre ? Tout le monde le regardait . Une femme vint l’ observer de la porte de la cuisine . — Pour la nuit ? — Peut - être pour deux ou trois jours . On l’ examinait des pieds à la tête . — Vous avez votre carte d’ identité ? La gendarmerie est ici chaque matin et nous devons tenir notre livre en ordre . Les quatre hommes ne jouaient plus , écoutaient . Maigret , qui s’ était rapproché du comptoir couvert de bouteilles , tendait sa carte et le patron mettait ses lunettes pour lire . Quand il leva la tête , il eut un clin d’ œil malin . — Vous êtes le fameux commissaire , hein ? On m’ appelle Paumelle , Louis Paumelle . Il appela , tourné vers la cuisine : — Thérèse ! Porte la valise du commissaire dans la chambre de devant . Maigret , sans prêter spécialement attention à la femme , qui devait avoir une trentaine d’ années , eut l’ impression qu’ il l’ avait vue quelque part . Cela ne le frappa qu’ après coup , comme avec les gens qu’ il apercevait en passant devant le Purgatoire . Elle aussi avait paru sourciller . — Qu’ est -ce que je vous offre ? — Ce que vous avez . Une fine , si vous voulez . Les autres , par contenance , avaient repris leur partie de belote . — Vous êtes ici à cause de Léonie ? — Pas officiellement . — C’ est vrai qu’ ils ont retrouvé l’ instituteur à Paris ? — Il est maintenant à la prison de La Rochelle . C’ était difficile de deviner ce que Paumelle en pensait . Tout aubergiste qu’ il était , il avait plutôt l’ air d’ un paysan dans sa ferme . — Vous ne croyez pas que c’ est lui ? — Je ne sais pas . — Je suppose que , si vous aviez dans l’ idée qu’ il est coupable , vous ne vous seriez pas dérangé . Est -ce que je me trompe ? — Peut - être que non . — À votre santé ! Il y a ici un homme qui a entendu le coup de feu . Théo ! N’ est -ce pas vrai que tu as entendu le coup de feu ? Un des joueurs , âgé de soixante-cinq ans , peut-être plus , les cheveux roussâtres mêlés de blanc , les joues non rasées , les yeux vagues et malicieux se tourna vers eux . — Pourquoi est -ce que je ne l’ aurais pas entendu ? — C’ est le commissaire . Maigret , qui est venu de Paris pour … — Le lieutenant m’ en a parlé . Il ne se levait pas , ne saluait pas , tenait ses cartes crasseuses dans ses doigts aux ongles noirs . Paumelle expliquait à voix basse : — C’ est l’ adjoint au maire . Et Maigret disait à son tour , aussi laconique : — Je sais . — Il ne faut pas faire attention . À cette heure - ci … Il faisait mine d’ avaler un verre . — Et toi , Ferdinand , qu’ est -ce que tu as vu ? Celui qu’ on avait appelé Ferdinand n’ avait qu’ un bras . Son visage était du brun rouge sanguin d’ un homme qui passe ses journées au soleil . — Le facteur , expliqua Louis . Ferdinand Cornu . Qu’ est -ce que tu as vu , Ferdinand ? — Rien du tout . — Tu as vu Théo dans son jardin . — Je lui ai même porté une lettre . — Qu’ est -ce qu’ il faisait ? — Il repiquait des oignons . — À quelle heure ? — Il était juste dix heures à l’ église . Je pouvais voir l’ heure au clocher , par - dessus les maisons . Belote ! Rebelote ! Je coupe du neuf … As de pique , roi de carreau maître … Il abattait ses cartes sur la table où les verres laissaient des ronds mouillés et regardait ses partenaires d’ un air de défi . — Et merde pour ceux qui viennent nous chercher des histoires ! ajouta -t -il en se levant . C’ est toi qui paie , Théo . Ses mouvements étaient maladroits , sa démarche indécise . Il alla décrocher son képi de facteur et se dirigea vers la porte en grommelant des mots qu’ on ne distinguait plus . — Il est comme ça tous les soirs ? — À peu près . Louis Paumelle s’ apprêtait à remplir les deux verres et Maigret l’ en empêchait de la main . — Pas maintenant … Je suppose que vous ne fermez pas tout de suite et que j’ ai le temps d’ aller faire un tour avant de me coucher ? — Je vous attendrai . Il sortit dans un silence de sacristie . Devant lui s’ étendait une petite place qui n’ était ni ronde , ni carrée , avec la masse sombre de l’ église à droite , en face une boutique non éclairée , au-dessus de laquelle il devinait cependant les mots « Coopérative Charentaise » . Il y avait de la lumière dans la maison du coin qui était grise , bâtie en pierre . La lumière se trouvait au second étage . En s’ approchant du seuil de trois marches , Maigret aperçut une plaque de cuivre , frotta une allumette et lut : Xavier Bresselles Docteur en Médecine Il faillit sonner , par désœuvrement , faute de savoir par où commencer , haussa les épaules en pensant que le docteur était probablement occupé à se mettre au lit . La plupart des maisons étaient obscures . Il reconnut la mairie , sans étage , à la hampe du drapeau . C’ était une toute petite mairie et , dans la cour , au premier étage d’ un bâtiment , probablement la maison de Gastin , une lampe était allumée . Il suivit la route , tourna à droite , longea des façades et des jardins , rencontra un peu plus tard l’ adjoint au maire qui venait en sens inverse et qui émit un grognement en guise de bonsoir . Il n’ entendait pas la mer , ne la voyait nulle part . Le village endormi avait l’ air de n’ importe quel bourg de campagne et ne s’ accordait pas avec l’ idée qu’ il s’ était faite d’ huîtres accompagnées de vin blanc , à une terrasse sur l’ océan . Il était déçu , sans raison précise . Déjà l’ accueil du lieutenant , à la gare , l’ avait rafraîchi . Il ne pouvait pas lui en vouloir . Daniélou connaissait le pays , où il était sans doute en fonction depuis des années . Un drame éclatait qu’ il avait éclairci de son mieux , et Maigret s’ en venait de Paris sans crier gare , avec l’ air de penser qu’ il se trompait . Le juge d’ instruction devait être mécontent aussi . Ils n’ oseraient le lui montrer ni l’ un ni l’ autre , seraient polis , lui ouvriraient leurs dossiers . Maigret n’ en restait pas moins un gêneur qui se mêlait de ce qui ne le regardait pas et il commençait à se demander ce qui l’ avait décidé brusquement à faire le voyage . Il entendit des pas , des voix , sans doute les deux autres joueurs de belote qui rentraient chez eux . Puis , plus loin , un chien jaunâtre lui frôla les jambes et il sursauta , surpris . Quand il poussa la porte du Bon Coin , une seule des lampes restait allumée et le patron , derrière son comptoir , rangeait les verres et les bouteilles . Il ne portait ni gilet , ni veston ." ]
"PROPN ajouta : — Et vous , m' aimez -vous ? Elle répondit : — Oui , monseigneur . — M' aimez(...TRUNCATED)
["Les manifestants avaient le ciel pour eux . PROPN s' en réjouit : l' épreuve qu' il tentait sera(...TRUNCATED)
["Cela m’ a surpris , mais je comprends à présent . En effet , Théo est sorti deux ou trois foi(...TRUNCATED)
"— Tu railles , PROPN ! Si je te quitte , ce n’ est pas par fierté , c’ est par honte ; regar(...TRUNCATED)
["Je suis classée , je suis attachée , je broute dans la porcelaine PROPN PROPN ; cela vaut bien u(...TRUNCATED)
["Dans chacun des deux domaines achetés , elle voulait faire jeter une quinzaine de mille francs po(...TRUNCATED)
"Ce gentilhomme était devenu malhonnête sans doute , et matériel . Pardonnez , seigneur , au mona(...TRUNCATED)
["voilà pourquoi mon impatiente colère a commencé par menacer , voilà pourquoi enfin vous me voy(...TRUNCATED)
["? – Mais oui , sire , fort bien ; merci , répondit nonchalamment le duc . – Comme vous avez d(...TRUNCATED)
"Le Japonais en blazer fit un rapide tour d’ inspection de la stalle pour vérifier l’ arrimage (...TRUNCATED)
["C’ était PROPN qui m’ avait proposé de venir la rejoindre à l’ île d’ PROPN , mais cel(...TRUNCATED)
["Le théâtre du drame était silencieux , obscur . Alors il se décida , en prenant des précautio(...TRUNCATED)
"– Il ne faut pas nous retarder , PROPN . J’ ai donné rendez-vous à trois heures au Père Salv(...TRUNCATED)
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["toujours en avant et toujours dociles ; qui marchent et qui sont portés ; qui ont le labeur jusqu(...TRUNCATED)
"Les révolutions se succèdent , car ce n’ est point en un seul mouvement que l’ on parvient à(...TRUNCATED)
[": – PROPN a -t -il donc oublié les saintes légendes d’ PROPN ? – Bon , fit ironiquement PR(...TRUNCATED)
["Madame m’ excusera , et quand je vous aurai dit ce que j’ ai à vous dire , vous serez libre d(...TRUNCATED)
"les plus hauts personnages d' PROPN y trouvaient une hospitalité pleine de charme et de distinctio(...TRUNCATED)
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"... Quelle idée avez -vous là ? Nous sommes trop jeunes tous deux , vous gagnez à peine pour vou(...TRUNCATED)
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["Le jeune prêtre tressaillit au bruit de cette voix et leva ses yeux sur le prisonnier . L’ homm(...TRUNCATED)
"– Vous gâtez ma chère maman . PROPN ne vous a pas accompagnée ? – Non , elle est occupée à(...TRUNCATED)
["; seulement , comme il se trouvait à s’ amuser dans le parc et que c’ est défendu , il n’ (...TRUNCATED)
["On n’ a pas pardonné au pauvre Amalu d’ être votre ami et de vous avoir arraché à la mort (...TRUNCATED)
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